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  Le modèle de Kermack et McKendrick pour la peste à Bombay et la reproductivité d'un
                                type avec saisonnalité

                          J. Math. Biol. 64 (2012) p. 403-422

                                    Nicolas Bacaër

              Institut de recherche pour le développement, Bondy, France
                                 nicolas.bacaer@ird.fr

   Université Cadi Ayyad, Laboratoire de Mathématiques et Dynamique des Populations,
                                   Marrakech, Maroc

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    Résumé

   La figure montrant comment le modèle de Kermack et McKendrick s'ajuste aux
   données de 1906 pour l'épidémie de peste à Bombay est l'une des figures les plus
   reproduites dans les livres sur la modélisation mathématique en épidémiologie.
   Dans cet article, on montre que l'hypothèse de paramètres constants dans ce
   modèle conduit à des valeurs numériques irréalistes pour ces paramètres. De plus,
   les rapports publiés à l'époque montrent que des épidémies de peste se
   produisaient à Bombay avec une saisonnalité remarquable chaque année à partir de
   1897 et au moins jusqu'en 1911. Donc l'épidémie de 1906 n'est vraiment pas un bon
   exemple d'épidémie s'arrêtant parce que le nombre de personnes susceptibles a
   baissé sous un certain seuil, comme l'ont suggéré Kermack et McKendrick, mais un
   exemple d'épidémie saisonnière. On présente un modèle saisonnier pour la peste à
   Bombay et l'on calcule les reproductivités nettes associées aux rats et aux
   puces. Ce faisant, on étend aux modèles périodiques la notion introduite par
   Roberts et Heesterbeek.

1.   Introduction

       La figure montrant comment le modèle de Kermack et McKendrick (1927 ; 1991)
   s'ajuste aux données de 1906 pour l'épidémie de peste à Bombay est bien connue
   des modélisateurs en épidémiologie (figure 1). Elle a été reproduite dans des
   livres sur l'épidémiologie mathématique (Keeling et Rohani, 2008 ; Waltman,
   1974), la biologie mathématique (Banks, 1994 ; Britton, 2003 ; Cavalli-Sforza et
   Feldman, 1981 ; Edelstein-Keshet, 2005 ; Hastings, 1997 ; Mangel, 2006 ; Murray,
   2002 ; Olinick, 1978 ; Shigesada et Kawasaki, 1997), les équations
   différentielles (Braun, 1993) et l'histoire de la modélisation mathématique
   (Bacaer, 2011 ; Israel, 1996). Les données, dont Kermack et McKendrick (1927) ne
   précisent pas l'origine, viennent d'un rapport d'enquête sur la peste en Inde
   publié en 1907 (Advisory Committee, 1907b, p. 753).
   [2012JMB2Fig1.png] Figure 1. Nombre hebdomadaire de décès dûs à la peste à Bombay
   entre le 17 décembre 1905 et le 21 juillet 1906 (Advisory Committee, 1907b, p.
   753). L'équation de la courbe est \(\,890/\cosh^2(\mbox{0,2}\,
   t-\mbox{3,4})\) comme dans (Kermack et McKendrick, 1927).

       Cependant Kermack et McKendrick n'ont pas obtenu la courbe en cloche de la
   figure 1 directement à partir de leur modèle original, un système de trois
   équations différentielles, car celles-ci n'avaient pas de solution explicite. Ils
   ont utilisé à la place une certaine approximation, pour laquelle ils ont obtenu
   une solution explicite: le nombre de décès par unité de temps  \(dz/dt\) était de
   la forme \begin{equation}\tag{1} \frac{dz}{dt} \simeq \frac{A}{\cosh^2 (B\,
   t-\phi )}\; , \end{equation} où les trois paramètres \(A\), \(B\) et
   \(\phi\,\) dépendent de manière compliquée des paramètres du modèle. L'ajustement
   aux données donnait \(\,A=890\) par semaine, \(B=\mbox{0,2}\) par semaine
   et \(\phi=\mbox{3,4}\). Kermack et McKendrick ont aussi mentionné plusieurs
   hypothèses simplificatrices de leur modèle; par exemple, leur modèle ne tient pas
   compte explicitement des rats et des puces qui transmettent la peste. Ils ont
   remarqué que:

     « None of these assumptions are strictly fulfilled and consequently the
     numerical equation can only be a very rough approximation. A close fit is not
     to be expected, and deductions as to the actual values of the various
     constants should not be drawn. »

       Malgré cette mise en garde, il peut être intéressant d'étudier cela de plus
   près. En particulier, on peut se demander:
     * Quelles sont les valeurs des paramètres du modèle original qui correspondent
       à l'ajustement de la figure 1?
     * Quelle est la reproductivité  \(R_0\)  associée?

   On a reçu ces questions de Yann Dartois, un professeur de mathématiques qui
   voulait montrer à ses étudiants une simulation du système original d'équations
   différentielles et comment elle s'ajuste aux données, sans avoir à expliquer les
   calculs compliqués qui conduisent à l'approximation (1). Relativement récemment,
   (Dietz, 2009) a aussi essayé de retrouver les paramètres du modèle et de
   calculer \(\,R_0\). Mais certaines erreurs ont été commises dans les calculs et
   rien de spécial n'a été remarqué.

       Dans la section 2, on rappelle le contexte historique et les formules
   obtenues par Kermack et McKendrick. Dans la section 3, on présente les calculs
   qui permettent de retrouver les valeurs des paramètres à partir de l'ajustement,
   on les appliquent au cas de la peste à Bombay et l'on explique que les valeurs
   obtenues sont assez irréalistes. Il faut donc remettre en cause l'hypothèse des
   valeurs constantes pour les paramètres. La section 4 discute du rôle de la
   saisonnalité, qui est sûrement responsable du déclin de l'épidémie en 1906, et
   propose un modèle périodique pour cette épidémie de peste. Le modèle comprend les
   puces, les rats et les humains comme dans (Keeling et Gilligan, 2000 ; Keeling et
   Gilligan, 2000 ; Monecke et coll., 2009). Noter cependant que (Monecke et coll.,
   2009) ne considère que des épidémies d'une année sans tenir compte de la
   saisonnalité. Un des modèles dans (Keeling et Gilligan, 2000) était saisonnier
   mais regardait à l'échelle du siècle, de sorte que

     « the effects of the seasonal fluctuations are averaged out. »

   La section 5 présente d'abord une définition de la reproductivité d'un type pour
   les modèles périodiques. Celle-ci est appliquée au modèle de la section
   précédente. Ceci étend les travaux de Roberts et Heesterbeek sur les modèles dans
   un environnement constant (Heesterbeek et Roberts, 2007 ; Roberts et Heesterbeek,
   2003 ; Roberts, 2007). La section 6 lie la reproductivité d'un type de notre
   modèle périodique avec la reproductivité d'un modèle réduit. La dernière section
   mentionne quelques pistes possibles pour des travaux futurs.

2.   La peste bubonique à Bombay et les formules obtenues par Kermack et McKendrick

       La peste bubonique apparut à Bombay, désormais Mumbai, en août 1896 (Gatacre,
   1897). Elle devint endémique en réapparaissant les années suivantes avec un fort
   caractère saisonnier comme on va le voir dans la section 4. La peste se répandit
   aussi à travers l'Inde, ce qui causa plus de dix millions de morts entre 1898 et
   1918 (Pollitzer, 1954, p. 26). En janvier 1905, le secrétaire d'état aux Indes,
   la Royal Society et l'institut Lister créèrent un comité consultatif. Sa
   commission de travail était basée à Bombay. La commission fit de nombreuses
   expériences de laboratoire et études de terrain pour étudier tous les aspects de
   la maladie. En conséquence, pas moins de quatre-vingt-quatre « Rapports d'étude
   sur la peste en Inde », avec des centaines de tableaux, de diagrammes et de
   cartes, furent publiés entre septembre 1906 et avril 1917 comme numéros spéciaux
   du  \(\text{Journal of Hygiene}\). Ce journal a maintenant été numérisé et qui
   est accessible gratuitement sur [1]www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/journals/326/. La
   plupart des informations de notre article viennent de ces rapports.

       L'épidémie saisonnière de peste de 1906, qui dura de janvier à juillet 1906,
   fut la première épidémie que la commission étudia et aussi celle qui reçut la
   plus grande attention. Mais en réalité elle fut d'une « sévérité modérée ». La
   commission fut capable d'établir définitivement le rôle des rats et de leurs
   puces dans la propagation de la peste. On peut noter que M. Kesava Pai, avec
   lequel McKendrick allait écrire un article en 1911, et le directeur de l'Institut
   Pasteur de l'Inde à Kasauli, où McKendrick allait travailler entre 1905 et 1920,
   étaient membres de la commission.

       Dans (Kermack et McKendrick, 1927), Kermack et McKendrick étudièrent un
   modèle mathématique avec trois compartiments:  \(x(t)\) personnes
   saines, \(y(t)\) personnes infectées par la peste et \(z(t)\,\) personnes mortes
   ou immunisées. Les équations étaient \begin{equation}\tag{2} \frac{dx}{dt}=-k\, x
   \, y,\quad \frac{dy}{dt}=k\, x \, y - \ell \, y,\quad \frac{dz}{dt}=\ell\, y\; .
   \end{equation}  \(k > 0\) est une sorte de taux de contact et  \(\ell > 0\,\) une
   mortalité ou un taux de guérison. Les auteurs purent montrer que si les
   conditions initiales sont \(\,x(0)=x_0\), \(y(0)=y_0\) et \(z(0)=0\,\),
   \[\frac{dz}{dt}=\ell \Bigl ( x_0+y_0 - x_0\, e^{-k z/\ell} - z\Bigr ),\] une
   équation qui ne semble pas avoir de solution explicite. Ils supposèrent que
   l'expression sans dimension \(\,k\, z(t)/\ell\) reste relativement petite et
   utilisèrent l'approximation \(e^{-u}\simeq 1-u+u^2/2\) pour obtenir
   \[\frac{dz}{dt}\simeq \ell \Bigl [y_0 + \Bigl (\frac{k\, x_0}{\ell} - 1\Bigr )z -
   \frac{x_0\, k^2}{2\, \ell^2}\, z^2\Bigr ]\; .\] Cette équation de Riccati a une
   solution explicite \(z(t)\) qui donne un nombre de décès par unité de temps égal
   à (1), où \[A=\frac{\ell^3\, Q^2}{2 \, x_0\, k^2} ,\ B= \frac{Q\, \ell}{2},\
   \tanh(\phi) = \frac{\frac{k\, x_0}{\ell} - 1}{Q}\; ,\ Q=\sqrt{\Bigl (\frac{k\,
   x_0}{\ell} -1 \Bigr )^2 + 2\, x_0\, y_0 \, \frac{k^2}{\ell^2}}\, . \] Noter avec
   (1) que \(A\) est le maximum de \(dz/dt\) (environ 900 par semaine dans la figure
   1) et que \(t^*=\phi/B\,\) est l'instant où le maximum est atteint (19 semaines
   après le début dans la figure 1). Donc il n'y a réellement qu'un seul paramètre
   inconnu dans le processus d'ajustement, disons B, et Kermack et McKendrick ont
   probablement essayé plusieurs valeurs. Après une première estimation de B, ils se
   sont probablement rendus compte que leur ajustement à la courbe entière pouvait
   être amélioré en changeant légèrement les paramètres : A=890 par semaine
   et \(\,t^*=\phi/B=17\,\) semaines. Finalement, ils optèrent pour
   \(B=\mbox{0,2}\) par semaine et donc  \(\phi=\mbox{3,4}\). Cependant le modèle a
   quatre paramètres : \(\,x_0\), \(y_0\), \(k\) et \(\ell\). Comment déduire quatre
   paramètres inconnus de seulement trois équations?

3.   Les valeurs des paramètres

       Avec \(R=k x_0/\ell\,\), on a \[A= \frac{\ell\, Q^2\, x_0}{2\, R^2},\quad B=
   \frac{Q\, \ell}{2},\quad \tanh(\phi)=\frac{R-1}{Q},\quad Q=\sqrt{(R-1)^2+2\, R\,
   y_0/x_0}\; .\] Donc \(Q=(R-1)/\tanh(\phi)\) et \begin{equation}\tag{3} x_0=
   \frac{2\, R\, y_0}{Q^2-(R-1)^2}=\frac{2\, R\,
   y_0}{(R-1)^2(\frac{1}{\tanh^2(\phi)}-1)}=\frac{2\, R\, y_0\,
   \sinh^2(\phi)}{(R-1)^2} \, . \end{equation} Mais les équations
   pour \(A\) et \(B\) indiquent aussi que \(\ell=2B/Q\) et \begin{equation}\tag{4}
   x_0=\frac{2R^2 A}{\ell Q^2}=\frac{R^2 A}{B Q}=\frac{R^2 A \tanh(\phi)}{B
   (R-1)}=\frac{R^2 A \sinh(\phi)}{B (R-1) \cosh(\phi)} \, . \end{equation} Avec les
   équations (3) et (4), on obtient \begin{equation}\tag{5} R(R-1)=\frac{2\, B\,
   y_0\, \sinh(\phi)\, \cosh(\phi)}{A} = \frac{B\, y_0\, \sinh(2\phi)}{A}\; .
   \end{equation} La seule racine positive de cette équation quadratique en R est
   \begin{equation}\tag{6} R = \frac{1+\sqrt{1+4 B\, y_0\, \sinh(2\phi)/A} }{2}\; .
   \end{equation}

       Nous avons quatre inconnues mais trois équations. Plusieurs choix pour les
   paramètres \(\,(x_0,y_0,k,\ell)\) correspondent au même triplet \((A,B,\phi)\).
   On pourrait décider de fixer l'un des paramètres: la période infectieuse moyenne
   de la peste \(\,1/\ell\), la taille initiale \(x_0\) de la population saine à
   Bombay en 1905 ou le nombre initial de personnes infectées  \(y_0\). Il ne semble
   pas possible de fixer k a priori.

       On pourrait croire d'abord que le choix de la période infectieuse est
   relativement simple. D'après (Advisory Committee, 1907b, p. 765), la durée
   moyenne de la maladie dans les cas fatals est d'environ \(\,\mbox{5,5}\,\) jours.
   Cependant il y a aussi une période d'incubation d'environ 3 jours en moyenne
   (Advisory Committee, 1907b, p. 765). Enfin on ne devrait pas oublier que le
   modèle (2) est une simplification du processus d'infection. Les rats infectés
   infectent leurs puces, qui infectent d'autres rats et à l'occasion aussi des
   humains. L'épidémie de peste chez les humains est complètement déterminée par
   l'épizootie chez les rats, avec juste quelques jours de retard (Advisory
   Committee, 1907b, figure III).

       Imaginons alors que le système (2) soit un modèle pour la peste chez les
   rats. Dans des expériences de laboratoire, les rats de Bombay auxquels la peste a
   été effectivement transmise mouraient en moyenne 9 jours après leur première
   exposition à des puces infectées (Advisory Committee, 1906a, p. 445). Mais encore
   une fois, on ne devrait pas oublier que cette durée peut ne pas avoir grand chose
   à voir avec la « période infectieuse apparente » puisque les puces quittent les
   rats seulement quand ils sont déjà morts. D'après (Advisory Committee, 1908, p.
   285), des expériences ont montré que les puces peuvent rester infectieuses deux
   semaines pendant la saison de la peste mais seulement une semaine en dehors de
   cette saison. Il y a donc des variations saisonnières considerables, sur
   lesquelles on reviendra dans la section 4. Par conséquent, dans le cadre d'un
   modèle autonome aussi simple que (2), le choix de \(\,1/\ell\) n'est pas simple.

       Considérons maintenant la taille initiale  \(x_0\,\) de la population saine à
   Bombay en décembre 1905. à cette époque, la population de Bombay était presque
   entièrement concentrée sur « l' île de Bombay » et ses 22 miles carrés. Le
   recensement de février 1906 donna une population d'environ un million d'habitants
   (Advisory Committee, 1907b, p. 726). On choisit  \(x_0=10^6\). L'équation (4)
   montre que  \(R\) est solution de l'équation quadratique \[(A \tanh \phi) R^2 -
   (B x_0) R + B x_0=0.\] Numériquement, on obtient  \(R\simeq 202\) et \(R\simeq
   \mbox{1,005}\). Mais (5) montre que  \(y_0=AR(R-1)/(B\sinh(2\phi))\). Cela donne
    \(y_0\simeq \mbox{446 000}\) et  \(y_0\simeq \mbox{0,06}\). les deux solutions
   sont absurdes, la première parce que l'épidémie de 1906 tua environ 10000
   personnes, la deuxième parce que  \(y_0\,\) est un nombre de personnes. Ainsi il
   n'est pas possible de prendre la population entière comme population à risque.

       Il reste à vérifier si l'on obtient des valeurs réalistes pour les paramètres
   avec un choix de \(y_0\). Posons par exemple \(\,y_0=1\,\) au début de la courbe
   épidémique. En fait, (Kermack et McKendrick, 1927) (voir figure 1) ne précise pas
   à quel événement correspond l'instant \(\,t=0\). Une fois choisi  \(y_0\,\),
   l'équation (6) donne \(R\). On peut calculer \(\,Q=(R-1)/\tanh(\phi)\) et
   \(\ell=2B/Q\). Finalement \(\,x_0\) est donné par (3) et  \(k=R\, \ell/x_0\).
   Avec  \(y_0=1\,\), on obtient \(\ell\simeq \mbox{4,32}\) par semaine, \(x_0\simeq
   \mbox{57 368}\) et  \(k\simeq \mbox{0,0000823}\,\) par semaine. Noter que la
   période infectieuse moyenne serait de  \(1/\ell\simeq \mbox{0,23}\) semaine,
   c'est-à-dire  \(\mbox{1,6}\,\) jours. La population à risque
   serait \(\,N=x_0+y_0\simeq \mbox{57 369}\). La reproductivité
   serait \(\,R_0=kN/\ell\simeq \mbox{1,09}\) et numériquement presque égale
   à \(R\). Ce \(\,R_0\) semble assez petit en comparaison avec les valeurs typiques
   pour d'autres maladies infectieuses (Anderson et May, 1991 ; Keeling et Rohani,
   2008, p. 21), en particulier vu que l'épidémie de peste n'est pas due à un lent
   accroissement de la densité de population jusqu'au seuil  \(R_0=1\,\) mais
   presque sûrement à l'arrivée par b\^ateau de rats infectés. La troisième pandémie
   de peste a commencé en 1894 à Hong Kong. Cependant, comme la « période
   infectieuse apparente »  \(1/\ell\) (dont l'interpretation est difficile, comme
   on l'a vu ci-dessus) est aussi très courte, le temps de doublement
   \(\log(2)/(kx_0-\ell)\,\) au début de l'épidémie prend une valeur raisonnable,
   environ 13 jours. Un problème plus grand survient quand on considère la
   population à risque \(\,N\simeq \mbox{57 000}\). Avec les rapports sur la
   distribution géographique des cas de peste chez les humains (Advisory Committee,
   1907b, carte I, p. 727 et p. 787-794), il semblerait que toutes les zones
   densément peuplées de l'île de Bombay furent touchées par l'épidémie. Il n'y a
   pas de raison évidente pour que seules 57000 personnes soient à risque lorsque la
   population totale est d'environ un million.

       On pourrait se demander si un choix légèrement différent
   de \(y_0\,\) (supposé être un entier) pourrait conduire à des valeurs de
   paramètres plus raisonnables. C'est ce que montre le tableau 1, où l'on
   inclut \(\,R_0\) plutôt que  \(k\). Les courbes épidémiques correspondantes (non
   représentées) restent toutes proches de celle de la figure 1, mais
   l'approximation se détériore à mesure que  \(y_0\) augmente.

   CAPTION: Tableau 1. Sensibilité des paramètres au choix de \(y_0\).

   \(y_0\)   \(x_0\)       \(1/\ell\) (jours)  \(R_0\)
   1         \(57\,368\)   \(\mbox{1,6}\)      \(\mbox{1,09}\)
   2         \(35\,439\)   \(\mbox{3,0}\)      \(\mbox{1,17}\)
   3        \(28\,202\)   \(\mbox{4,3}\)      \(\mbox{1,24}\)

       Le tableau 1 semble suggérer que notre processus d'estimation n'est pas
   vraiment robuste. Mais souvenons-nous que \(\,R_0\,\) est supposé être juste
   au-dessus de 1, là où le modèle est très sensible à de petits changements dans
   les valeurs des paramètres. Dans tous les cas, les différentes valeurs
   de \(\,x_0\) et \(N=x_0+y_0\) dans le tableau 1 sont toutes beaucoup trop petites
   pour être réalistes.

       Jusqu'à présent on a supposé implicitement que toutes les infections
   conduisent au décès. Mais (Advisory Committee, 1907b, p. 762) mentionne 11010
   morts parmi 12245 infections, soit 90% de mortalité. Parce que \(\,z(t)\) inclut
   à la fois les morts et les guéris, la courbe pour \(dz/dt\) (figure 1) doit être
   remise à l'échelle avec un nouveau maximum \(A\) égal à \(890/90\%\simeq 989\),
   les paramètres \(B\) et \(\phi\,\) restant identiques. Avec \(\,y_0=1\), les
   nouveaux paramètres sont  \(x_0\simeq \mbox{69 183}\), \(1/\ell\simeq
   \mbox{1,5}\) jours et \(R_0\simeq \mbox{1,08}\). Il y a peu de différence avec le
   cas où il y a 100% de mortalité. la population estimée à risque reste trop
   petite.

       En résumé, il semble que l'ajustement à la courbe épidémique sous l'hypothèse
   de paramètres constants conduit à des valeurs des paramètres irréalistes. Il
   n'est pas suffisant, comme l'écrivent Kermack et McKendrick (1927, p. 715), que

     « the calculated curve, which implies that the rates did not vary during the
     period of epidemic, conforms roughly to the observed figures. »

4.   La saisonnalité

       La solution du problème de la section précédente est en fait très simple. Le
   modèle (2) doit être abandonné. On peut obtenir la courbe de la figure 1 avec des
   valeurs des paramètres plus réalistes en incluant la saisonnalité. Notre objectif
   est désormais de développer un modèle saisonnier réaliste de l'épidémie de peste
   et d'estimer la reproductivité correspondante. On inclura les deux hôtes
   principaux, les rats et les puces, pour lesquels la reproductivité d'un type, T,
   est une meilleure mesure de l'effort nécessaire pour contrôler l'épidémie. On
   discutera donc aussi du calcul de T pour les modèles saisonniers, ce qui peut
   être d'un intérêt plus large.

       La peste apparut à Bombay en août 1896 mais la première vraie épidémie
   commença au printemps 1897. Elle devint endémique. Des décès dûs à la peste
   furent enregistrés presque tous les mois au moins jusqu'en 1911, avec des pics en
   mars ou avril de chaque année (figure 2). Une mortalité élevée s'observa
   invariablement entre décembre et juin, une faible mortalité entre juillet et
   novembre. La peste demeura fréquente à Bombay jussqu'en 1923 (Pollitzer, 1954, p.
   28). Ce caractère saisonnier régulier est très différent des épidémies de peste
   du 14e au 18e siècle en Europe, qui se produisirent de manière irrégulière et
   furent le sujet des modèles antérieurs (Keeling et Gilligan, 2000 ; Keeling et
   Gilligan, 2000 ; Monecke et coll., 2009).
   [2012JMB2Fig2.png] Figure 2. Nombre hebdomadaire de décès dûs à la peste à Bombay
   entre janvier 1897 et décembre 1911. Les données viennent de (Advisory Committee,
   1907b, p. 753), (Advisory Committee, 1908, figure I), et (Advisory Committee,
   1912, p. 222\(-\)226).

       (Advisory Committee, 1908 ; St John Brooks, 1917) ont étudié l'origine de
   cette saisonnalité. Une comparaison avec les statistiques météorologiques montra
   que l'épidémie ne pouvait se maintenir quand la température moyenne était au
   dessus de 80°F, soit 26,7°C. Une conclusion similaire fut obtenue pour d'autres
   régions de l'Inde, avec l'humidité qui joue un rôle secondaire (St John Brooks,
   1917). Les bacilles de la peste sont sensibles à la température. Des expériences
   de laboratoire montrèrent que la proportion de puces dans l'estomac desquelles se
   produit une multiplication abondante des bacilles de la peste pouvait être
   plusieurs fois supérieure par temps frais que par temps chaud (Advisory
   Committee, 1908, p. 283-285). Corrélativement, des puces pouvaient restées
   infectieuses bien plus longtemps par temps frais que par temps chaud. Des
   résultats similaires furent obtenus en utilisant une chambre froide ou une
   chambre chauffée.

       Un autre facteur était la présence saisonnière des puces des rats. On put en
   capturer plus, en utilisant des cochons d'Inde comme appâts, entre janvier et
   mars que pendant les autres mois de l'année (Advisory Committee, 1908, p. 296).
   Le nombre moyen de puces trouvées sur les rats capturés entre février et mai fut
   aussi le plus élevé (Advisory Committee, 1908, p. 297). Cependant les variations
   dans l'abondance des puces pouvaient être dues aux puces qui quittent les rats
   morts de la peste pour trouver un nouvel hôte.

       La saisonnalité de la fertilité des rats, estimée par la fraction de jeunes
   rats et de rattes en gestation parmi les rats capturés, sembla moins important
   (Advisory Committee, 1907b, p. 748). Cependant les populations de rats ont
   certainement oscillé à cause de la mortalité due à la peste.

       Avec tous ces éléments, il est clair que le déclin de l'épidémie de 1906 en
   juin ne doit pas être attribué à la baisse du nombre de personnes saines sous un
   certain seuil, comme le suggère le modèle de Kermack et McKendrick, mais
   simplement à un facteur saisonnier touchant les bacilles et les puces. Comme
   modèle alternatif, on pourrait essayer de garder les mêmes équations (2) mais
   avec des coefficients périodiques. Mais à ce stade, un modèle légèrement plus
   complexe et plus réaliste semble approprié. On utilisera la notation désormais
   standard  \((S,I,R)\) au lieu de \((x,y,z)\).  \(S(t)\) est le nombre de rats
   sains, \(I(t)\) le nombre de rats infectés et \(R(t)\) le nombre de rats
   immunisés.  \(P(t)=S(t)+I(t)+R(t)\,\) est le nombre total de rats en vie. De
   manière plus précise, on ne considérera que le rat noir, quoique les rapports
   indiquent clairement que l'épizootie de peste parmi ces rats était toujours
   précédée, avec seulement quelques semaines de différence, par une épizootie
   similaire parmi les rats bruns. \(\,F(t)\) est le nombre de puces infectées
   vivant librement, c'est-à-dire qui ne sont pas encore fixées sur un rat ou sur un
   humain. \(H(t)\) est le nombre d'humains infectés.  \(D(t)\,\) est l'incidence
   des décès dûs à la peste chez les humains. On ne tient pas compte des humains
   sains et des puces saines car ils étaient probablement très en excès: rappelons
   qu'il y eut annuellement environ 10000 décès dûs à la peste chez les humains dans
   une population d'un million. Comme la peste bubonique est principalement une
   épizootie parmi les rats, les humains n'étant qu'un hôte occasionnel des puces
   des rats, on tient compte du nombre de rats susceptibles et immunisés. On résume
   le processus d'infection ainsi: \begin{align} &\frac{dS}{dt} = b(P) - m\, S - c\,
   (1-\omega)\, \pi(\theta(t))\, \frac{S}{P}\, F + \varepsilon\, m'\, I,\tag{7}\\
   &\frac{dI}{dt} = c\, (1-\omega)\, \pi(\theta(t))\, \frac{S}{P}\, F - m'\,
   I,\tag{8}\\ & \frac{dR}{dt}=\varepsilon'\, m'\, I - m\, R,\\ &\frac{dF}{dt}=f\,
   \pi' (1-\varepsilon-\varepsilon') m'\, I - c\, F,\tag{9}\\ & \frac{dH}{dt}=c \,
   \omega\, \pi(\theta(t))\, F - a\, H,\quad \quad D(t) = \sigma\, a \,
   H(t).\tag{10} \end{align} Le tableau 2 donne la signification des paramètres et
   leurs valeurs numériques.

   CAPTION: Tableau 2. Valeurs des paramètres.

    \(b(P)\)  fertilité des rats \(b(P)=r\, P/(1+P/K)\)  \(r=\mbox{0,4}\)/mois
   (Leslie, 1945)
    \(K=\mbox{50 000}\)  ajustement
    \(1/m\)  espérance de vie des rats  \(m=\mbox{0,03}\)/mois (Leslie, 1945)
    \(1/c\)  temps pour que les puces libres trouvent un hôte  \(c=30\)/mois
   Advisory Committee, 1907a, p. 475
    \(\omega\)  proportion des puces libres qui trouvent un hôte humain
   \(\omega=2\%\)  ajustement
    \(\pi(\theta)\)  probabilité de transmission du puce au rat ou à l'homme (th en
   ° F)  \(\pi(\theta)=\pi_0 \times (\mbox{0,75}-\mbox{0,25}\tanh(\theta-80))\)
   Advisory Committee, 1908, p. 283
    \(\pi_0=90\%\)  ajustement
   \(\theta(t)\)  température (° F) figure 3 Advisory Committee, 1908, figure I
    \(1/m'\)  durée de la peste chez les rats  \(m'=3\)/mois Advisory Committee,
   1906a, p. 445
    \(\varepsilon\)  proportion de rats guérissant sans immunité
   \(\varepsilon=10\%\)  Advisory Committee, 1908, p. 284
   \(\varepsilon'\)  proportion de rats guérissant immunisés  \(\varepsilon'=10\%\)
   Advisory Committee, 1908, p. 284
    \(f\)  nombre moyen de puces par rat  \(f=4\)  Advisory Committee, 1907b, p. 752
    \(\pi'\)  probabilité de transmission du rat à la puce  \(\pi'=\pi_0\)
   hypothèse
    \(1/a\)  durée de la peste chez les humains  \(a=4\)/mois Advisory Committee,
   1906b, p. 526
   \(\sigma\)  mortalité  \(\sigma=90\%\)  Advisory Committee, 1907b, p. 762

       Voici quelques commentaires sur le modèle et sur les paramètres:
     * Le lecteur peut remarquer la similitude entre le présent modèle et des
       modèles intra-hôtes pour l'infection par le VIH, les rats infectés libérant
       les puces quand ils meurent comme les cellules CD4 infectées libèrent les
       virions du VIH quand elles explosent (Nowak et May, 2000).
     * Le modèle convient pour la peste bubonique, de loin la plus fréquente en Inde
       (Pollitzer, 1954, p. 28), mais bien sûr pas pour la peste pulmonaire, qui fut
       la forme principale de l'épidémie à Harbin (Dietz, 2009). La peste pulmonaire
       peut se transmettre directement entre humains.
     * Des expériences de laboratoire ont montré que la transmission directe de la
       peste bubonique ne peut se produire en l'absence de puces (Advisory
       Committee, 1906a, p. 466).
     * Les données de l'article classique de P.H. Leslie (1945) concernent le rat
       brun (noter que \(\log(2)/m\simeq 23\,\) mois est la demi-vie). Cependant des
       élevages expérimentaux de rats noirs, dont la population croît
       comme \(\,e^{(r-m)t}\,\), donnèrent des résultats similaires (Advisory
       Committee, 1911, p. 199). Le paramètre K dans l'expression de \(\,b(P)\), qui
       est lié à la taille de la population de rats, est un paramètre libre que l'on
       a utilisé pour l'ajustement à la courbe de la peste chez les humains.
     * On a pris pour le temps moyen nécessaire aux puces pour trouver un hôte
       \(1/c\simeq 1\,\) jour, à cause de l'observation suivante: « in a building in
       Bombay, in which there had been a severe rat mortality, proved to be due to
       plague, we had taken rat fleas in large numbers on the legs of men who
       entered some of the rooms in this building even for a short time (Advisory
       Committee, 1907a, p. 475). Prendre  \(1/c\simeq \mbox{0,5}\) jour ne fait
       presque pas de différence (voir aussi la section 6 ci-dessous).
     * La proportion  \(\omega\)  de puces libres qui trouvent un hôte humain dépend
       des conditions sanitaires à Bombay (Advisory Committee, 1907b). On l'a
       utilisé comme un paramètre à ajuster, en notant que le nombre de décès dûs à
       la peste est presque proportionnel à w.
     * La probabilité de transmission  \(\pi(\theta)\)  modélise la dépendance à la
       température du développement des bacilles dans l'estomac des puces. On a
       choisi une fonction lisse avec un seuil relativement marqué à 80°F de sorte
       que, comme l'indique (Advisory Committee, 1908, p. 283), les puces sont à peu
       près deux fois moins susceptibles de transmettre la peste lorsqu'il fait
       chaud que lorsqu'il fait frais. Le maximum de la probabilité de transmission
        \(\pi_0\,\) est un paramètre libre que l'on a utilisé pour ajuster la courbe
       de la peste chez les humains. (Gatacre, 1897, p. 11) mentionne une
       probabilité de transmission par piqûre inférieure à 15% ; noter cependant que
        \(\pi(\theta)\) est la probabilité de transmission globale, ce qui implique
       les multiples piqûres de la puce sur son rat hôte.
     * La figure 3 montre la température moyenne enregistrée à Bombay de janvier
       1897 à décembre 1906 avec un pas de temps de deux semaines. Elle est proche
       d'une fonction périodique. Pour notre modèle, on fait l'hypothèse
       simplificatrice que  \(\theta(t)\) est une vraie fonction périodique avec une
       période \(\tau=1\) an et avec des valeurs obtenues en moyennant les dix
       années de données de la figure 3. Noter qu'il n'y a pas de corrélation
       évidente entre la déviation de la température mensuelle par rapport à sa
       moyenne et les variations en taille des pics des épidémies saisonnières de la
       figure 2.
     * Les proportions \(\varepsilon'\) et  \(\varepsilon\,\) de rats infectés qui
       survivent à la peste avec ou sans immunité ne sont pas faciles à estimer
       puisque nombre de rats utilisés dans les expériences de laboratoire étaient
       déjà immunisés. Mais des expériences similaires, faites sur des cochons
       d'Inde non immunisés avec des conditions de température favorables, suggèrent
       que 10 à 20% pouvaient survivre (Advisory Committee, 1908, p. 283\(-\)284).
       Pour simplifier, on a supposé que \(\,\varepsilon=\varepsilon'=10\%\). De
       cette manière, un rat infecté qui survit à la peste a 50% chance d'être
       immunisé.
     * Le nombre de puces trouvées sur des rats noirs varie de manière saisonnière
       (Advisory Committee, 1907b, p. 752 ; voir aussi (Otten, 1932) pour des
       données de Java). On n'a gardé que la moyenne \(f\simeq 4\) puces par rat.
     * Le rat étant un animal à sang chaud, on a supposé que la probabilité de
       transmission de la peste du rat à la puce ne dépend pas de la température
       extérieure et est égale au maximum de la probabilité de transmission de la
       puce au rat :  \(\pi'=\pi_0\).

   [2012JMB2Fig3.png] Figure 3. Température moyenne en \(^\circ\, \mathrm{F}\) à
   Bombay entre janvier 1897 et décembre 1906 (Advisory Committee, 1908, figure I)
   et sa moyenne périodique en pointillé.

       En résumé, on a gardé trois paramètres libres principaux
   (\(K\), \(\omega\) et \(\pi_0\)) pour ajuster le nombre de décès dûs à la peste.
   On a ajusté ces paramètres par tatonnement pour obtenir un nombre maximum de
   décès inférieur à 1000 par semaine, pour avoir un pic épidémique en mars ou
   avril, et pour avoir une épidémie saisonnière qui dure environ 5 mois. On a
   finalement choisi : \(K=\mbox{50 000}\), \(\omega=2\%\) et \(\pi_0=90\%\). La
   population de rats noirs en l'absence de peste est ainsi \(\,S^*=K(r/m-1)\simeq
   \mbox{620 000}\,\), c'est-à-dire moins d'un rat noir par habitant. Avec notre
   choix des valeurs des paramètres et avec un rat infecté introduit début août
   1896, le modèle (7)-(10) converge vers une solution périodique, que l'on compare
   avec les données pour les années 1904-1907 dans la figure 4.
   [2012JMB2Fig4.png] Figure 4. Nombre hebdomadaire de décès dûs à la peste entre
   janvier 1904 et décembre 1907 et la composante \(D(t)\,\) de la solution
   périodique du modèle saisonnier.

       La sortie du modèle ne peut s'ajuster à toute la série temporelle de la
   figure 2, et cela pour les raisons suivantes. Le premier pic épidemique produit
   par le modèle après l'introduction d'un cas infecté est plusieurs fois plus grand
   que les pics des années suivantes puisque tous les rats sont sains au départ. Ce
   n'est pas ce qu'on observe dans la figure 2. On trouve de possibles explications
   dans un rapport sur la peste à Bombay (Gatacre, 1897) publié en 1897,
   c'est-à-dire une année après le début de l'épidémie et plusieurs années avant la
   création du comité consultatif et de la commission de travail. Le rapport
   explique en détail les difficultés pour arriver à des estimations fiables de la
   mortalité due à la peste pendant la première année de l'épidémie: certains mois,
   il fut estimé que les décès comptabilisés comme dûs à la peste (figure 2) étaient
   inférieurs au tiers de l'excédent de mortalité calculé en soustrayant la
   mortalité moyenne des années précédentes à la mortalité totale observée pendant
   l'épidémie (Gatacre, 1897, p. 2). Au contraire, le rapport publié dix ans plus
   tard en 1907 est très confiant dans les statistiques sur la peste car
   l'identification des cas de peste était devenue routinière (Advisory Committee,
   1907b, p. 728-734). Ainsi la taille des premiers pics épidémiques dans la figure
   2 est douteuse. Un autre facteur important est la baisse de la population de
   850000 à 437000 entre décembre 1896 et février 1897; les gens avaient fuit Bombay
   pour échapper à la peste (Gatacre, 1897, p. 251). Cette migration, considérée
   alors comme « probably unique in the history of the world », a certainement
   diminué la taille du premier pic épidémique. La population retourna à son niveau
   normal quelques mois apès le premier pic (Gatacre, 1897, plan 3). Enfin il se
   peut que les pics épidémiques plus petits après 1907 (figure 2) soient dûs aux
   interventions efficaces suggérées par la commission après avoir soigneusement
   compris l'épidémiologie de la peste. Tout ceci tend à justifier pourquoi la
   figure 4 ne se concentre que sur la période 1904-1907.

       La figure 5 montre les oscillations périodiques de la population de rats.
   Noter que, comparé avec la situation sans maladie, la peste a divisé environ par
   5 la population totale de rats. La population de rats susceptibles est aussi très
   réduite pendant la saison de la peste de février à avril mais commence à croître
   à la fin avril lorsque des températures plus élevées réduisent la transmission.
   Cet accroissement continue jusqu'au mois de janvier suivant. Le nombre de rats
   sains et les conditions de température sont alors favorables à une nouvelle
   épidémie. Le nombre minimum de rats infectés pendant une saison est 26, ce qui
   est beaucoup trop petit pour être visible sur la figure 5 mais probablement
   suffisant pour éviter l'extinction si la stochasticité était prise en compte. La
   proportion de rats immunisés R/P varie entre 25% en février au début de
   l'épizootie saisonnière et 65% en mai à la fin de l'épizootie. Ces changements de
   l'immunité se voyaient également dans les expériences de laboratoire (Advisory
   Committee, 1908, p. 292). Enfin l'on peut noter que, contrairement au modèle de
   (Monecke et coll., 2009) où les puces étaient supposées ne chercher des humains
   qu'après la réduction drastique de la population de rats (voir en particulier
   (Monecke et coll., 2009, figure 3), l'épidémie dans la figure 4 et l'épizootie
   dans la figure 5 se recouvrent largement, la première n'ayant que quelques
   semaines de retard par rapport à la seconde. Ceci se confirme sur les données
   concernant le nombre de rats noirs infectés (vivants ou morts) examinés à Bombay
   en 1905-1906 (Advisory Committee, 1907b, figure III).
   [2012JMB2Fig5.png] Figure 5. Population de rats: sains (\(S\)), infectés (\(I\)),
   immunisés (\(R\)) et total (\(P\)).

       Bien sûr, comme dans le modèle SIR classique avec une démographie périodique,
   le modèle (7)-(10) a aussi des solutions sous-harmoniques et peut-être aussi des
   solutions chaotiques pour des valeurs des paramètres différentes. On n'a pas
   essayé de tracer de diagramme de bifurcation. Cette complexité potentielle peut
   expliquer en partie pourquoi les pics épidémiques saisonniers dans la figure 2 ne
   sont pas tous de la même taille. L'idée ici était juste de montrer qu'un modèle
   saisonnier pouvait s'ajuster aux données avec des valeurs des paramètres
   réalistes, contrairement à (Kermack et McKendrick, 1927).

5.   La reproductivité d'un type avec de la saisonnalité

       Tournons-nous maintenant vers la seconde question posée dans l'introduction:
   quelle est la reproductivité associée à la peste à Bombay? On utilisera le modèle
   périodique de la section précédente, qui comprend les rats et les puces. Comme
   Roberts et Heesterbeek l'ont remarqué pour les maladies infectieuses avec plus
   d'un animal hôte (Heesterbeek et Roberts, 2007 ; Roberts et Heesterbeek, 2003 ;
   Roberts, 2007), il vaut mieux calculer ce qu'ils appellent la reproductivité pour
   chaque type d'hôte différent. Rappelons tout d'abord quelques généralités
   concernant la reproductivité d'un type dans un environnement constant avant
   d'étendre la notion aux modèles périodiques.

5.1   Environnement constant

       Considérons un modèle autonome linéarisé avec n états infectés \(\,dJ/dt =
   (A- B) J(t)\), avec
     *  \(J(t)=(J_1(t),\ldots,J_n(t))^{T}\),
     * A est une matrice de transmission dont les éléments sont tous >=0,
     * B est une matrice de transition qui est une M-matrice inversible (Berman et
       Plemmons, 1994 ; van den Driessche et Watmough, 2002).

   Remarquer que (Diekmann et coll., 2010) appelle -B la matrice de transition. On
   appellera cela le modèle (A,B). Rappelons que pour une matrice B avec des
   éléments hors diagonale qui sont  0\)
     *  \(\exists\, d_1 > 0,\ldots,d_n > 0\) avec  \(d_j\, B_{j,j} > \sum_{i\neq j}
       d_i\, |B_{i,j}|\ \forall j\)
     * B est inversible et \(\,B^{-1}\) est une matrice positive (Berman et
       Plemmons, 1994, p. 134-137).

   La reproductivité est  \(R_0=\rho(K)\), le rayon spectral de la matrice positive
    \(K=AB^{-1}\). Voir (Diekmann et Heesterbeek, 2000, p. 105) ou (van den
   Driessche et Watmough, 2002).

       Supposons maintenant que le contrôle se fasse sur un sous-ensemble non
   vide \(\mathcal{E}\subset \{1,\ldots,n\}\,\) de tous les états infectés. Comme
   dans (Roberts et Heesterbeek, 2003), on définit
     * P : la matrice de projection sur ce sous-ensemble,
       avec \(\,P_{i,j}=0\) si \(i\neq j\), \(P_{i,j}=0\) si \(i=j\notin
       \mathcal{E}\,\), et \(P_{i,i}=1\) si \(i\in \mathcal{E}\)
     *  \(\mathcal{I}\,\) : la matrice identité de taille n
     *  \(\widehat{A}=PA\) et \(A^*=(\mathcal{I}-P)A\).

   Autrement dit, les lignes de la matrice \(\widehat{A}\) dont le numéro est
   dans \(\mathcal{E}\,\) sont les mêmes que celles de la matrice A, tandis que les
   autres lignes sont nulles. Alors \(\,A=\widehat{A}+A^*\). Parce que \(\,A^*\) est
   une matrice positive, noter que  \(\widehat{B}=B-A^*\,\) a des éléments hors
   diagonale qui sont 0, autrement dit, si B est une
   M-matrice inversible.

       Retournons au cas périodique. Considérons, comme ci-dessus, un
   sous-ensemble \(\,\mathcal{E}\)  de \(\{1,\ldots,n\}\,\) et la matrice de
   projection P qui lui correspond. On définit
     *  \(\widehat{A}(t)=PA(t)\)
     *  \(A^*(t)=(\mathcal{I}-P)A(t)\)
     *  \(\widehat{B}(t)=B(t)-A^*(t)\).

   Alors
   \(A(t)=\widehat{A}(t)+A^*(t)\) et \(A(t)-B(t)=\widehat{A}(t)-\widehat{B}(t)\).
   Noter à nouveau que la matrice \(\,\widehat{B}(t)\) a des éléments hors diagonale
   qui sont \(\leq 0\). Supposons que le multiplicateur de Floquet
   dominant \(\,\rho(\widehat{X}(\tau))\) du système \(d\widehat{X}/dt
   =-\widehat{B}(t)\widehat{X}(t)\) avec \(\widehat{X}(0)=\mathcal{I}\) soit
   strictement inférieur à 1. Voici la définition:

     la reproductivité d'un type associée à  \(\mathcal{E}\) dans le modèle
     \((A(t),B(t))\) est la la reproductivité du modèle
     \((\widehat{A}(t),\widehat{B}(t))\).

   Rappelons que la définition de la reproductivité pour les modèles périodiques a
   été proposée dans (Bacaër et Guernaoui, 2006) et que pour le cas particulier des
   modèles qui sont des systèmes d'équations différentielles, la théorie de Floquet
   peut être utilisée pour calculer \(R_0\,\) (Bacaër et Guernaoui, 2006 ; Bacaër,
   2007 ; Wang et Zhao, 2008). En effet, si \(\,R_0 > 0\) (le cas \(R_0=0\) ne se
   produit pour aucune maladie réelle),  \(R_0\) se caractérise comme l'unique
   nombre positif tel que le système linéaire périodique \(dJ/dt = (A(t)/R_0 - B(t))
   J(t)\) ait un multiplicateur de Floquet dominant égal à 1. Plus
   généralement, \(R_0\,\) est le rayon spectral d'un opérateur intégral sur un
   espace de fonctions périodiques (Bacaër et Guernaoui, 2006) et s'interprète comme
   le taux asymptotique de croissance par génération (Bacaër et Ait Dads, 2011).
   Ainsi la reproductivité d'un type T est l'unique nombre positif tel que
   \begin{equation}\tag{12} \frac{dJ}{dt} = \Bigl (\frac{\widehat{A}(t)}{T} -
   \widehat{B}(t)\Bigr ) J(t) = \Bigl (\frac{ P A(t)}{T} +(\mathcal{I}-P)A(t) -
   B(t)\Bigr ) J(t) \end{equation} ait un multiplicateur de Floquet dominant égal à
   1. Ce nombre T a les mêmes propriétés de seuil que  \(R_0\) : en utilisant par
   exemple (Wang et Zhao, 2008, théorème 2.2), on a  \(T > 1\) si et seulement si le
   système \(dJ/dt = (\widehat{A}(t)-\widehat{B}(t))J(t)\,\) a un taux de croissance
   malthusien >0. Mais celui-ci est égal au paramètre malthusien du système  \(dJ/dt
   = (A(t)-B(t))J(t)\). Donc l'état sans maladie est instable si et seulement si T >
   1.

       En fait, comme le signale (Thieme, 2009), une formule de la
   forme \(R_0=\rho(\mathcal{A} \mathcal{B}^{-1})\) reste vraie dans le cas
   particulier des équations différentielles périodiques,
   avec \((\mathcal{A}u)(t)=A(t)u(t)\) et \((\mathcal{B}u)(t)=\frac{du}{dt}+B(t)u(t)
   \) pour toute fonction périodique de période t, \(u(t)\). Les coefficients hors
   diagonale 


Usage: http://www.kk-software.de/kklynxview/get/URL
e.g. http://www.kk-software.de/kklynxview/get/http://www.kk-software.de
Errormessages are in German, sorry ;-)