Ergebnis für URL: http://www.ummisco.ird.fr/perso/bacaer/2013JMB.html Sur la reproductivité dans un environnement aléatoire
J. Math. Biol. 67 (2013) 1729-1739
Nicolas Bacaër
Institut de recherche pour le développement
Bondy, France
nicolas.bacaer@ird.fr
Mohamed Khaladi
Université Cadi Ayyad, Département de mathématiques, Marrakech, Maroc
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Résumé
On étudie la notion de reproductivité, notée \(R_0\,\), pour les problèmes de
dynamique des populations dans des environnements aléatoires. Pour simplifier, on
suppose que les environnements successifs suivent une chaîne de Markov.
\(\,R_0\,\) est le rayon spectral d'un opérateur de prochaine génération. Sa
position par rapport à 1 détermine toujours la croissance ou la décroissance de
la population dans les simulations, contrairement à un autre paramètre suggéré
dans un article récent [Hernandez-Suarez C, Rabinovich J, Hernandez K (2012)
\(\text{Theor. Pop. Biol., doi:10.1016/j.tpb.2012.05.004}\)]. La position de ce
dernier paramètre par rapport à 1 détermine la croissance et la décroissance de
l'espérance de la population. \(\,R_0\,\) se calcule facilement dans le cas des
modèles de population scalaires sans aucune structure. On s'intéresse
principalement aux modèles en temps discret mais les modèles en temps continu
sont aussi évoqués.
1. Introduction
Dans cet article, on considère des modèles de population de la forme
\[p(t+1)=X(t)p(t),\quad X(t)=A(t)+B(t),\quad t=0,1,\ldots\] avec \(p(0)\) donné
dans \(\mathbb{R}^m\). Le vecteur \(\,p(t)\) représente les différentes
composantes de la population. \(A(t)\) et \(B(t)\,\) sont des matrices carrées de
taille m à coefficients >= 0 pour tout t. \(\,A(t)\) est une matrice de
naissance. \(B(t)\,\) est une matrice de survie. Pour simplifier, on suppose que
les matrices \(\,(A(t),B(t))\) sont choisies dans une liste finie
d'environnements \((A^{(k)},B^{(k)})_{1\leq k\leq K}\). L'environnement de type i
est suivi par un environnement de type j \((1\leq i,j\leq K)\) avec une
probabilité \(\,M_{i,j}\,\). Avec une probabilité \(\,\mu_i\,\), \((A(0),B(0))\)
est de type \(i\). On suppose que la matrice \(\,M=(M_{i,j})\,\) de cette chaîne
de Markov est irréductible. Les matrices de survie ont un sens biologique si
\[\sum_i B_{i,j}^{(k)}\leq 1,\quad \forall j,\quad \forall k.\] On suppose aussi:
* (H1) \(\exists \ \kappa, \quad \|B^{(\kappa)}\|_1=\max_j \sum_i
B_{i,j}^{(\kappa)} < 1\)
* (H2) les matrices \(A^{(k)}+B^{(k)}\) sont « ergodiques » (Caswell, 2001).
Par exemple, des matrices primitives avec une matrice d'incidence commune sont
ergodiques. On peut affaiblir certaines de ces hypothèses.
Une vaste littérature existe concernant de tels modèles de population dans un
environnement aléatoire (Lewontin et Cohen, 1969 ; Tuljapurkar, 1990). On définit
* \(|p(t)|=\sum_i p_i(t)\)
* \(\|\cdot\|\) une norme matricielle.
Avec les hypothèses ci-dessus, \begin{equation}\tag{1} r=\lim_{t\to +\infty}
(\log |p(t)|)/t=\lim_{t\to +\infty} (\log \|X(t-1)X(t-2)\cdots X(0)\| )/t.
\end{equation} Cette limite existe presque sûrement et elle est indépendante de
la condition initiale et de la suite particulière d'environnements choisie au
hasard suivant la chaîne de Markov (Tuljapurkar, 1990, p. 26). Pour marquer la
dépendance du taux de croissance r par rapport aux matrices, on écrit
\(r=r(A,B)\). Si par exemple le vecteur de population est un scalaire et si les
environnements sont indépendants et identiquement distribués, alors
\[M_{i,j}=m_j\quad \forall i,j,\] et \begin{equation}\tag{2} r(A,B)=\sum_k m_k
\log(A^{(k)}+B^{(k)}) \end{equation} (Haccou et coll., 2005, §2.9.2).
Bacaër et Guernaoui (2006) ont généralisé la notion classique de
reproductivité, aussi appelée taux de reproduction, au cas des environnements
périodiques. \(R_0\,\) est un taux asymptotique de croissance par génération
(Bacaër et Ait Dads, 2011 et 2012). Thieme (2009, §5.1) et Inaba (2012) ont
étudié le cas des environnements déterministes en temps continu mais non
périodiques. Dans un article récent, (Hernandez-Suarez et coll., 2012) ont
suggéré une adaptation de la reproductivité aux modèles avec des environnements
aléatoires. Il semble cependant que la position de leur \(R_0\,\) par rapport à 1
ne décide pas toujours si la population finit par croître ou décroître (un
contre-exemple sera présenté ci-dessous). Dans le présent article, on explique
comment \(\,R_0\) devrait être calculé pour donner le bon seuil: c'est l'unique
solution de l'équation \begin{equation}\tag{3} r(A/R_0,B)=0. \end{equation}
Autrement dit, \(R_0\,\) est le nombre par lequel tous les taux de naissance
doivent être divisés pour amener la population à la situation critique où ni la
croissance exponentielle ni la décroissance exponentielle ne se produit. Une
telle caracterisation de \(\,R_0\) a été mise en évidence pour les environnements
constants par (Li et Schneider, 2002, théorème 3.1) et pour les environnements
périodiques en temps continu ou discret par (Bacaër, 2007, §3.4) et (Bacaër,
2009, section 4).
Dans la section 2, la reproductivité est définie comme le rayon spectral d'un
« opérateur de prochaine génération » suivant la terminologie de (Diekmann et
Heesterbeek, 2000). D'après la proposition 1, \(R_0 > 1\) si et seulement si \(r
> 0\). La proposition 2 montre que la reproductivité peut être calculé en
utilisant l'équation (3). La formule pour la reproductivité obtenue pour les
environnements périodiques par (Bacaër, 2009) est un cas particulier de
l'approche du présent article. La section 3 montre que le paramètre introduit
récemment par (Hernandez-Suarez et coll., 2012) détermine la croissance ou le
déclin de l'espérance de la population. La section 4 se concentre sur le cas
scalaire, pour lequel la reproductivité se calcule facilement. Des exemples
numériques sont présentés dans la section 5. La section 6 discute brièvement des
modèles en temps continu pour faire le lien avec un récent article (Artalejo et
coll., 2012). La conclusion explique la différence entre notre reproductivité et
celle de (Hernandez-Suarez et coll., 2012). Il y a la même différence qu'entre
l'espérance du taux de croissance et le taux de croissance de l'espérance. Cette
différence a été le sujet de nombreuses discussions (Lewontin et Cohen, 1969 ;
Tuljapurkar, 1990).
2. Définition et propriétés de \(R_0\)
Comme dans le cas périodique (Bacaër et Ait Dads, 2011 et 2012), découpons la
population en générations. \(\,q(n,t)\,\) est le vecteur de population
appartenant à la génération n au temps t : pour tout \(\,t\geq 0\) et \(n\geq
0\), \begin{align} &q(0,0)=p(0),\quad q(0,t+1)=B(t) q(0,t)\nonumber\\
&q(n+1,0)=0,\quad q(n+1,t+1)=A(t) q(n,t)+B(t)q(n+1,t).\tag{4} \end{align} Noter
que le zéro dans le côté droit de l'équation \(q(n+1,0)=0\) est le vecteur nul de
\(\mathbb{R}^m\). Avec \[p(t)=\sum_{n\geq 0} q(n,t)\] on a
\[p(t+1)=(A(t)+B(t))p(t)\quad\forall t\geq 0.\] On définit
\[L=\ell^1(\mathbb{N},\mathbb{R}^m)=\left \{ (x(0),x(1),\ldots) ;\quad x(t)\in
\mathbb{R}^m\ \forall t\geq 0,\quad \|x\|=\sum_{t\geq 0} \sum_{i=1}^m |x_i(t)| <
+\infty\right \}.\] Alors L est un espace de Banach avec cette norme. Noter que
(4) s'écrit aussi \begin{equation}\tag{5} q(n+1,0)=0,\quad
-B(t)q(n+1,t)+q(n+1,t+1)=A(t)q(n,t). \end{equation} Introduisons les opérateurs
\(\mathcal{A}:L\to L\), \(\mathcal{B}:L\to L\) et l'opérateur identité
\(\mathcal{I}:L\to L\) avec \begin{align*} \forall x\in L,\quad \forall t\geq
0,\quad &(\mathcal{A}x)(0)=0,\quad (\mathcal{A}x)(t+1)=A(t)x(t), \\
&(\mathcal{B}x)(0)=0,\quad (\mathcal{B}x)(t+1)=B(t)x(t),\\
&(\mathcal{I}x)(t)=x(t). \end{align*} Parce que \(A(t)\) et \(B(t)\) sont choisis
parmi en ensemble fini de matrices, il est clair que \(\mathcal{A}x\in L\) et
\(\mathcal{B}x\in L\) si \(x\in L\). De plus, \(\,\mathcal{A}\) et
\(\mathcal{B}\) sont des opérateurs linéaires bornés.
Lemme 1. Le rayon spectral \(\rho(\mathcal{A}+\mathcal{B})\) est égal à
\(e^{r(A,B)}\).
Preuve. On définit \(\,\mathcal{X}=\mathcal{A}+\mathcal{B}\). On a \(\,
\forall x\in L\), \(\forall \tau\geq 1\,\), \[(\mathcal{X}^\tau x)(t)=0,\quad
\quad 0\leq t\leq \tau-1,\] \[(\mathcal{X}^\tau x)(t)=X(t-1)X(t-2)\cdots
X(t-\tau) x(t-\tau),\quad \quad t\geq \tau.\] Avec (1) et la formule du rayon
spectral, on a \[\rho(\mathcal{X})=\lim_{\tau\to +\infty}
\|\mathcal{X}^\tau\|^{1/\tau} = e^{r(A,B)}.\] \(\|\cdot\|\,\) est la norme
d'opérateur associée à la norme vectorielle.
Lemme 2. \(r(0,B) < 0\) : la population va vers l'extinction s'il n'y a pas
de naissances.
Preuve. On a \(\,\|B^{(k)}\|_1 \leq 1\ \forall k\) et \(\|B^{(\kappa)}\|_1 <
1\). L'environnement \(\,\kappa\) apparaît (si \(t \to +\infty)\) dans une
fraction positive \(\pi_\kappa\,\) des termes de l'équation (1), parce que la
chaîne de Markov est irréductible. Mais \(\,\|\cdot\|_1\,\) est une norme
sous-multiplicative. Donc on obtient \(\ r(0,B)\leq \pi_{\kappa} \log
\|B^{(\kappa)}\|_1 < 0\).
Parce que \( r(0,B) < 0\), le lemme 1 montre que \(\rho(\mathcal{B}) < 1\).
Donc \(\mathcal{I}-\mathcal{B}\) est inversible: si
\(y=(\mathcal{I}-\mathcal{B})x\,\), on a
\[x=(\mathcal{I}-\mathcal{B})^{-1}y=y+\mathcal{B}y+\mathcal{B}^2y+\cdots\,,\]
c'est-à-dire \[x(t)=\sum_{\tau=0}^{t} B(t-1)B(t-2)\cdots B(\tau) y(\tau), \quad
\forall t\geq 0.\] Avec \(\,q_n=(q(n,t))_{t\geq 0}\,\), l'équation (5) équivaut à
\[(\mathcal{I}-\mathcal{B})q_{n+1}=\mathcal{A} q_n,\] c'est-à-dire
\[q_{n+1}=(\mathcal{I}-\mathcal{B})^{-1}\mathcal{A}q_n.\] Parce que \(\,q_0\in
L\,\), on a \(q_n\in L\ \forall n\geq 1\). On définit \(\,g_n=\mathcal{A}q_n\).
De cette manière, \(g_n(t+1)=A(t)q(n,t)\) est le vecteur des naissances dues à la
génération n entre les temps t et t+1. On arrive à la conclusion suivante:
\[g_{n+1}=\mathcal{A}q_{n+1}=\mathcal{A}(\mathcal{I}-\mathcal{B})^{-1}g_n.\] Plus
explicitement, on a \(g_{n+1}(0)=0\) et l'équation de renouvellement pour les
naissances \begin{equation}\tag{6} g_{n+1}(t+1)=\sum_{\tau=0}^t A(t) B(t-1)
B(t-2)\cdots B(\tau) g_n(\tau),\quad \forall t\geq 0, \quad \forall n\geq 0.
\end{equation}
Définition 1. \(R_0\,\) est le rayon spectral de l'opérateur de prochaine
génération \(\mathcal{A}(\mathcal{I}-\mathcal{B})^{-1}\).
Noter l'analogie entre la définition 1 et la présentation de \(\,R_0\,\) pour
les modèles en temps continu dans des environnements temporellement hétérogènes
de (Thieme, 2009, §5.1) et (Inaba, 2012). On écrit \(\,R_0(A,B)\) pour insister
sur la dépendance par rapport aux suites de matrices.
Proposition 1.
* \(R_0(A,B) > 1\,\) si \(\,r(A,B) > 0\),
* \(R_0(A,B)=1\,\) si \(\,r(A,B)=0\),
* \(R_0(A,B) < 1\,\) si \(\,r(A,B) < 0\).
Preuve. D'après (Thieme, 2009, théorème 3.10), \(\,R_0(A,B)-1\,\) a le même
signe que \(\rho(\mathcal{A}+\mathcal{B})-1\). Mais le lemme 1 dit
\(\,\rho(\mathcal{A}+\mathcal{B})=e^{r(A,B)}\). \(\,R_0(A,B)-1\) a donc le même
signe que \(r(A,B)\).
Proposition 2. Supposons que \(\,R_0(A,B) > 0\). \(\,R_0(A,B)\) est la
solution unique de l'équation \(r(A/R,B)=0\) avec \(R\in (0,+\infty)\).
Preuve. Puisque la reproductivité dépend linéairement de l'ensemble des taux
de naissances, on a \[R_0(A/R_0(A,B),B)=1.\] Avec la proposition 1, on a
\[r(A/R_0(A,B),B)=0.\] Ainsi l'équation \(\ r(A/R,B)=0\ \) a au moins une
solution. Avec (1), \[R \mapsto r(A/R,B),\quad R\in (0,+\infty)\] est une
fonction décroissante. En prenant deux fois la dérivée par rapport à R, on voit
facilement que \[R\mapsto A_{i,j}(t)/R+B_{i,j}(t) \quad \forall (i,j)\] est une
fonction soit identiquement nulle soit log-convexe. Ce point a déjà été utilisé
par (Bacaër et Ait Dads, 2012, appendice C). D'aprè (Cohen, 1980, théorème 1),
\(\,R\mapsto r(A/R,B)\,\) est une fonction convexe. Donc l'équation
\(\,r(A/R,B)=0\,\) ne peut avoir plus qu'une solution. En effet, s'il y avait
deux solutions distinctes \(\,R_1\) et \(R_2\) avec \(R_1 < R_2\), la fonction
décroissante et convexe \(R\mapsto r(A/R,B)\) serait constante égale à 0 non
seulement entre ces deux valeurs mais pour \(R\geq R_1\). Cette fonction de
\(\,]0,+\infty[\,\) dans \(\mathbb{R}\,\) est convexe. Elle est aussi continue.
On a donc \(\,r(A/R,B)\to r(0,B) < 0\) si \(R\to +\infty\). On a ainsi atteint
une contradiction.
Remarque 1. La proposition 2 montre qu'en général le calcul de \(R_0\,\) est
aussi difficile que le calcul de r, et nécessite plus de temps de calcul car une
méthode de dichotomie doit être utilisée.
Remarque 2. Pour les environnements périodiques dans l'ordre
\((1,2,\ldots,K)\), (Bacaër, 2009) a montré que \(R_0\) était le rayon spectral
de \begin{equation}\tag{7} \left ( \begin{array}{cccc} A^{(1)} & 0 & \cdots& 0\\
0 & A^{(2)} & & \vdots\\ \vdots & \ddots&\ddots & 0\\ 0 &\cdots & 0 & A^{(K)}
\end{array} \right ) \left ( \begin{array}{ccccc} -B^{(1)} & I & 0 & \cdots&0 \\
0 & -B^{(2)} & I & &0\\ 0&\ddots &\ddots & & \vdots\\ \vdots & \ddots&\ddots & 0&
I\\ I &\cdots & 0& 0 & -B^{(K)} \end{array} \right )^{-1}. \end{equation} Bacaër
et Ait Dads (2012, Proposition 3) ont insisté sur le fait que ce \(R_0\) est
l'unique solution de l'équation \[\rho\left ( \left
(\frac{A^{(K)}}{R}+B^{(K)}\right )\cdots \left (\frac{A^{(1)}}{R}+B^{(1)}\right )
\right )=1.\] Avec l'équation (1), le côté gauche ci-dessus est visiblement égal
à \(e^{r(A/R,B)}\). On peut donc conclure de la proposition 2 que \(\,R_0\,\)
dans (Bacaër, 2009) est identique au \(R_0\) de la définition 1 dans le cas
particulier des environnements périodiques (\(M_{i,j}=1\) si \(j=i+1\) et \(1\leq
i\leq K-1\), \(M_{K,1}=1\,\), et \(M_{i,j}=0\,\) sinon). On peut présenter
\(\,R_0\) dans un environnement périodique comme le rayon spectral de
\begin{equation}\tag{8} \left ( \begin{array}{ccccc} 0 & 0 & \cdots&0 & A^{(K)}\\
A^{(1)} & 0 & & &0\\ 0&\ddots &\ddots & & \vdots\\ \vdots & \ddots&\ddots & 0&
0\\ 0 &\cdots & 0& A^{(K-1)} & 0 \end{array} \right ) \left (
\begin{array}{ccccc} I & 0 & \cdots&0 & -B^{(K)}\\ -B^{(1)} & I & & &0\\ 0&\ddots
&\ddots & & \vdots\\ \vdots & \ddots&\ddots & I& 0\\ 0 &\cdots & 0& -B^{(K-1)} &
I \end{array} \right )^{-1} \end{equation} dont on voit facilement qu'il est égal
au rayon spectral de (7) (Hernandez-Suarez et coll., 2012, section 5). D'après
(Bacaër et Ait Dads, 2012), ce rayon spectral est é au rayon spectral de
\(\,A(I-B)^{-1}\) (Cushing et Zhou, 1994 ; Caswell, 2001) lorsque l'environnement
est constant, avec \(A^{(k)}=A\) et \(B^{(k)}=B\ \forall k\).
Proposition 3. La définition de \(\,R_0\) ci-dessus est indépendante de la
suite aléatoire particulière \((A(t),B(t))_{t\geq 0}\,\), qui suit la chaîne de
Markov. Donc \(\, R_0\) peut être appelé la reproductivité du modèle.
Preuve. On choisit deux suites d'environnements qui suivent la chaîne de
Markov, \(\,(A(t),B(t))\) et \((A'(t),B'(t))\). Les repoductivités
correspondantes sont \(\,R_0(A,B)\) et \(R_0(A',B')\). On souhaite montrer que
\(R_0(A,B)=R_0(A',B')\). Avec la proposition 2, on a \(r(A/R_0(A,B),B)=0\) et
\(r(A'/R_0(A',B'),B')=0\). Mais les taux de croissance sont indépendants de la
suite particulière d'environnements (Tuljapurkar, 1990). On a donc
\[0=r(A/R_0(A,B),B)=r(A'/R_0(A,B),B').\] \(R_0(A,B)\) et \(R_0(A',B')\) sont
solutions de \(r(A'/R,B')=0\). D'après la proposition 2, \(R_0(A,B)=R_0(A',B')\).
3. Un autre paramètre
Un article récent, (Hernandez-Suarez et coll., 2012) suggère de définir la
reproductivité comme le rayon spectral de la matrice \begin{equation}\tag{9}
\left (\begin{array}{ccc} M_{1,1} A^{(1)} &\cdots & M_{K,1} A^{(K)}\\ \vdots & &
\vdots\\ M_{1,K} A^{(1)} & \cdots &M_{K,K} A^{(K)}\end{array} \right ) \left [ I
- \left (\begin{array}{ccc} M_{1,1} B^{(1)} &\cdots & M_{K,1} B^{(K)}\\ \vdots &
& \vdots\\ M_{1,K} B^{(1)} & \cdots &M_{K,K} B^{(K)}\end{array} \right ) \right
]^{-1}. \end{equation} \(I\,\) est la matrice identité de taille convenable. On
note ce rayon spectral \(\,R_*\) pour éviter toute confusion.
Dans la littérature sur les environnements markoviens, il est connu que
\begin{equation}\tag{10} \log \mu = \lim_{t\to +\infty} \frac{\log \mathbb{E}
[|p(t)|]}{t} \end{equation} existe (\(|\cdot|\,\) désigne la somme des
composantes). De plus,
* µ est le rayon spectral de \(\,D(M'\otimes I)\),
* \(D\) est la matrice diagonale par blocs
\(D=\mathrm{diag}(A^{(1)}+B^{(1)},\cdots,A^{(K)}+B^{(K)})\),
* \(M'\,\) est la matrice transposée de M
* \(I\) est la matrice identité.
Tuljapurkar (1990, p. 45) appelle cela la formule de Bharucha.
Proposition.
* \(R_* > 1\,\) si \(\,\log \mu > 0\)
* \(R_*=1\,\) si \(\,\log \mu=0\)
* \(R^* < 1\,\) si \(\,\log \mu < 0\).
Preuve. On a \[D(M'\otimes I) = \left (\begin{array}{ccc} M_{1,1}
(A^{(1)}+B^{(1)}) &\cdots & M_{K,1} (A^{(K)}+B^{(K)})\\ \vdots & & \vdots\\
M_{1,K} (A^{(1)}+B^{(1)}) & \cdots &M_{K,K} (A^{(K)}+B^{(K)})\end{array} \right
). \] Cette matrice est égale à \(A^*+B^*\), avec \[A^*= \left
(\begin{array}{ccc} M_{1,1} A^{(1)} &\cdots & M_{K,1} A^{(K)}\\ \vdots & &
\vdots\\ M_{1,K} A^{(1)} & \cdots &M_{K,K} A^{(K)}\end{array} \right ), \] et
\(B^*\,\) est définie de la même manière en remplaçant A par B. D'après (Thieme,
2009, théorème 3.10), \(\rho(A^*+B^*)-1\) et \(\rho(A^*(I-B^*)^{-1})-1\,\) ont le
même signe. Mais \(\,\mu=\rho(A^*+B^*)\) et \(R_*=\rho(A^*(I-B^*)^{-1})\).
Remarque 3. Dans un environnement périodique, on a \(\,R_0=R_*\), comme on
peut le voir en comparant les matrices (8) et (9).
4. Le cas scalaire
Si les matrices de naissance et de survie \(\,A(t)\) et \(B(t)\) sont
scalaires et si les environnements sont indépendants et identiquement distribués,
alors l'équation (2) et la proposition 2 montrent que \[\sum_{k=1}^K m_k \log
\left (\frac{A^{(k)}}{R_0}+B^{(k)}\right )=0,\] ou de manière équivalente
\[\prod_{k=1}^K \left (\frac{A^{(k)}}{R_0}+B^{(k)}\right )^{m_k}=1.\]
Considérons maintenant le cas plus général d'une dépendance markovienne entre
les environnements successifs. \(\,M=(M_{i,j})\,\) est une matrice de
probabilités de transition. La chaîne étant irréductible, soit p la distribution
stationnaire du temps passé dans les différents environnements: \[\pi_j = \sum_i
\pi_i M_{i,j}\quad \forall j, \quad \sum_j \pi_j=1.\] (Haccou et coll., 2005,
§2.9.2) indiquent que le taux de croissance est \[r(A,B)=\sum_k \pi_k
\log(A^{(k)}+B^{(k)})\] Pour preuve, noter simplement que \[\log
p(t)=\sum_{\tau=0}^{t-1} \log X(\tau) + \log p(0).\] Avec \(\,t\to +\infty\,\),
le nombre de termes égaux à \(\log(A^{(k)}+B^{(k)})\) dans la somme sur t est
\(\pi_k\, t+o(t)\). Ainsi donc, la proposition 2 montre que \(\,R_0\) est la
solution de \begin{equation}\tag{11} \prod_{k=1}^K \left
(\frac{A^{(k)}}{R_0}+B^{(k)}\right )^{\pi_k}=1. \end{equation} Par conséquent, on
calcule facilement \(\,R_0\,\), par exemple avec une méthode de dichotomie.
5. Exemples
Comme premier exemple, considérons une population scalaire (\(m=1\)) et
supposons qu'il y ait deux environnements (\(K=2\)): \[A^{(1)}=1,\
B^{(1)}=\mbox{0,5}\, ,\ A^{(2)}=\mbox{0,1}\, ,\ B^{(2)}=\mbox{0,58}\, ,\ M=\left
(\begin{array}{ccc} \mbox{0,3} & &\mbox{0,7}\\ \mbox{0,6} & &\mbox{0,4}
\end{array}\right ).\] La distribution stationnaire est
\((\pi_1,\pi_2)=(6/13,7/13)\). L'équation (11) donne \(\,R_0\simeq \mbox{0,949} <
1\) : la population va vers l'extinction presque sûrement. Pour un tel exemple,
l'équation (9) donne \(\,R_*\simeq \mbox{1,050} > 1\). Plusieurs simulations de
ce modèle partant de \(\ p(0)=1\ \) illustrent cela. La figure 1 suggère que le
processus est effectivement sous-critique. Les valeurs des paramètres sont
choisies précisément pour que \(R_0 < 1\) et \(R_* > 1\). Cependant il semblerait
que dans de nombreux autres cas, les deux paramètres soient du même côté de 1 et
ne diffèrent que très peu, la différence étant souvent inférieure à 1%. Bien
qu'une telle différence puisse sembler biologiquement insignifiante, elle garde
de l'importance pour prouver mathématiquement des résultats de seuil.
[2013JMBfig1.png] Figure 1. \(\log p(t)\) en fonction de \(t\). Ici \(R_0 < 1\)
tandis que \(R_* > 1\).
Comme second exemple, considérons un modèle avec deux types et deux
environnements: \[A^{(1)}=\left (\begin{array}{ccc} \mbox{0,1} &&2\\ 0 &&0
\end{array}\right ),\quad B^{(1)}=\left (\begin{array}{ccc} 0& &0\\ \mbox{0,1}
&&0 \end{array}\right ),\] \[A^{(2)}=\left (\begin{array}{ccc} 1 &&\mbox{0,3}\\ 0
&&0 \end{array}\right ),\quad B^{(2)}=\left (\begin{array}{ccc} 0&& 0\\
\mbox{0,7}&& 0 \end{array} \right ),\quad M=\left (\begin{array}{ccc} \mbox{0,5}
&&\mbox{0,5}\\ \mbox{0,5} &&\mbox{0,5} \end{array}\right ).\] Noter que les
matrices \(A^{(k)}+B^{(k)}\) avec \(k=1,2\,\) sont des matrices de Leslie et que
les environnements sont indépendants et identiquement distribués. La formule (9)
donne \(\,R_*=\mbox{1,01} > 1\). Avec \(p(0)=(1\, 1)'\), on estime le taux de
croissance r avec la formule \[\frac{1}{t} \log (|p(t)|/|p(0)|)\] avec t=5000. On
itère le processus 1000 fois. On trouve que la moyenne du taux de croissance est
\(-\mbox{0,1021}\) avec une erreur standard de \(\mbox{0,0074}\). Ceci suggère r
< 0 et donc \(\,R_0 < 1\). Pour estimer la reproductivité numériquement, on
utilise la proposition 2 : on divise \(\,A^{(k)}\) avec \(k=1,2\,\) par R et on
estime le nouveau taux de croissance. Avec \(\,R=\mbox{0,84}\,\), on trouve
\(r\simeq \mbox{0,0135}\) avec une erreur standard de \(\mbox{0,0072}\), ce qui
suggère que \(r > 0\). Avec \(R=\mbox{0,88}\,\), on trouve \(r\simeq
-\mbox{0,0168}\) avec une erreur standard de \(\mbox{0,0071}\), ce qui suggère
que \(r < 0\). Il semblerait donc que \(\mbox{0,84} < R_0 < \mbox{0,88}\).
Pour le même exemple, on peut aussi utiliser directement la définition de la
reproductivité comme rayon spectral de l'opérateur
\[\Omega=\mathcal{A}(\mathcal{I}-\mathcal{B})^{-1}.\] Attention cependant que cet
opérateur n'a pas de valeur propre non nulle, comme dans le cas en temps continu
étudié par (Inaba, 2012, lemme 9). Mais on peut calculer \(\,g_n\,\) pour n grand
et estimer la reproductivité avec \(\,\sqrt[n]{\|g_n\|/\|g_0\|}\). Dans notre
exemple, noter que \(\,B^{(k)}B^{(k')}=0\ \forall k,k'=1,2\) et \(g_0(t)=0\
\forall t\geq 3\). L'équation de renouvellement (6) montre que si \(\,g_{n}(t)=0\
\forall t\geq \tau\,\), alors \(g_{n+1}(t)=0\ \forall t\geq \tau+2\). On a donc
\(g_n(t)=0\ \forall t\geq 2n+3\). Pour calculer \(\,g_n\,\), il suffit donc de
considérer l'opérateur W* sur le sous-espace de dimension finie
\(\ell^1(\{0,1,\ldots,2n+2\},\mathbb{R}^2)\). Avec n=1000, on a choisi 10 suites
aléatoires d'environnements. On a trouvé des estimations de la reproductivité
avec une moyenne de 0,86 et une erreur standard de 0,015, en accord avec
l'estimation déjà obtenue.
6. Des modèles avec un temps continu
Esquissons une théorie similaire pour les modèles linéaires de population en
temps continu dans un environnement aléatoire ergodique. Prenons par exemple un
modèle \begin{equation}\tag{12} \frac{dp}{dt} = (A(t)-B(t))p(t), \end{equation}
* \(p(t)\) est un vecteur,
* \(A(t)\,\) est une matrice carrée de taille m à coefficients positifs ou
nuls,
* \(-B(t)\,\) est une matrice de la même taille avec des coefficients positifs
ou nuls en dehors de la diagonale.
On suppose pour simplifier
* \(\,(A(t),B(t))\) appartient à une liste finie d'environnements
\(((A^{(k)},B^{(k)}))_{1\leq k\leq K}\)
* les basculements entre les environnements suivent une chaîne de Markov en
temps continu inhomogène (Ge et coll., 2006). La probabilité d'être dans
l'état k au temps t, qui est notée \(\,\Pi_k(t)\,\), est solution de
\[\frac{d\Pi}{dt}=Q(t)\Pi.\] \(Q(t)\,\) est une matrice irréductible,
périodique de période T, avec des coefficients positifs ou nuls en dehors de
la diagonale, continue par morceaux, et telle que \(\,Q_{jj}(t)=-\sum_{i\neq
j} Q_{ij}(t)\).
La matrice \(\,Q(t)\,\) est périodique car beaucoup de populations vivent un
mélange d'effets saisonniers et d'effets aléatoires. Pour les modèles en temps
discret, un tel mélange peut être incorporé dans la matrice de transition M de la
section 1. \(\,\lambda_1(A,B)\,\) est le plus grand exposant de Lyapunov de (12)
(Arnold et Wihstutz, 1986). On suppose que \(\,\lambda_1(0,B) < 0\) : la
population converge vers 0 sans les naissances.
La reproductivité peut être définie comme le rayon spectral de l'opérateur de
renouvellement \(\mathcal{K}\) sur l'espace \(L^1((0,\infty),\mathbb{R}^m)\)
donné par \[(\mathcal{K}u)(t)= \int_0^t K(t,x) u(t-x)\, dx,\] où le noyau est
donné par \(K(t,x)=A(t) C(t,x)\) et \(C(t,x)\,\) est la matrice de survie entre
les temps \(t-x\,\) et t : \[C(t,x)=Z(t), \quad \frac{dZ}{ds} = -B(s)Z(s) \quad
(t-x < s < t), \quad Z(t-x)=I\] (la matrice identité). En effet, on sait d'après
(Bacaër et Ait Dads, 2011, lemme 2) que le vecteur de naissances par unité de
temps dues à la génération n vérifie une relation de récurrence impliquant cet
opérateur linéaire, qui est semblable à l'équation (6). Pour une discussion du
lien entre le rayon spectral de cet opérateur et la reproductivité mais pour les
modèles déterministes, voir (Inaba, 2012, section 4). Dans le cas \(\,R_0 >
0\,\), la reproductivité peut encore une fois être caractérisé par le fait que
\(\lambda_1(A/R_0,B)=0\,\), comme dans la proposition 2. Le rayon spectral
\(R_0\) de \(\mathcal{K}\) est presque sûrement indépendant de la suite aléatoire
particulière d'environnements, comme dans la proposition 3.
Si la population \(\,p(t)\,\) est un scalaire, on a \[\lambda_1(A,B)=\langle
A \rangle - \langle B \rangle,\] où par exemple \[\langle A \rangle = \lim_{t\to
\infty} \frac{1}{t} \int_0^t A(s)\, ds.\] On a donc \[R_0 = \frac{\langle A
\rangle}{\langle B \rangle}\] comme dans le travail de (Cordova-Lepe et coll.,
2012) pour un modèle à coefficients presque périodiques. Pour le vecteur ligne
\(\,v=(1\ 1 \ldots 1)\,\), on a \(\,dv/dt=0=v Q(t)\,\). On peut montrer, suivant
(Perthame, 2007, §6.3.2), qu'il existe une unique solution périodique de période
T et positive \(\,u(t)\) de \[\frac{du}{dt} = Q(t) u(t),\quad \sum_i u_i(t)=1.\]
La loi des grands nombres pour les chaînes de Markov montre que \[\langle A
\rangle = \frac{1}{T}\int_0^T \sum_k u_k(s) A^{(k)}\, ds.\] On a donc
\[R_0=\frac{\int_0^T \sum_k u_k(s) A^{(k)}\, ds}{\int_0^T \sum_k u_k(s) B^{(k)}\,
ds}\, .\] Si la matrice \(Q(t)\,\) ne dépend pas de t, alors il existe un unique
vecteur u tel que \[Qu=0,\quad \sum_i u_i=1.\] On a donc \[R_0=\frac{\sum_k u_k
A^{(k)}}{\sum_k u_k B^{(k)}}.\] Cette formule pour \(R_0\) est la même que celle
de (Artalejo et coll., 2012, §4.1) pour « \(R_0^{ARA}\) ».
7. Conclusion
La différence entre le \(R_0\) du présent article et le « \(R_0\,\) » (noté
ici \(R_*\)) dans (Hernandez-Suarez et coll., 2012) est semblable à la différence
entre d'une part le taux de croissance « stochastique » (1), qui est aussi égal à
l'espérance du taux de croissance de la population \[r=\lim_{t\to +\infty}
\mathbb{E}\left [\frac{\log |p(t)|}{t}\right ],\] d'autre part le taux de
croissance de l'espérance de la population (10) (Lewontin et Cohen, 1969 ;
Tuljapurkar, 1990). C'est la position de r par rapport à 0, ou celle de
\(\,R_0\,\) par rapport à 1, qui décide si la population est sous-critique ou
surcritique dans les simulations. Cependant \(\,\log \mu\) et \(R_*\) sont
beaucoup plus faciles à calculer dans les environnements markoviens pour les
populations structurées (non scalaires): ils sont donnés par les rayons spectraux
de simples matrices.
Remerciements
On remercie Sylvie Méléard, Odo Diekmann et particulièrement Carlos
Hernandez-Suarez pour avoir stimulé notre intérêt pour les environnements
aléatoires.
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