Ergebnis für URL: http://www.ummisco.ird.fr/perso/bacaer/2020MMNP.html Un modèle mathématique des débuts de l'épidémie de coronavirus en France
Math. Model. Nat. Phenom. 15 (2020) 29
[1]https://doi.org/10.1051/mmnp/2020015
[2]https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02509142
Nicolas Bacaër
Institut de recherche pour le développement
Unité de modélisation mathématique et informatique des systèmes complexes
Les Cordeliers, Paris, France
nicolas.bacaer@ird.fr
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Résumé
On étudie un modèle mathématique S-E-I-R à deux phases, inspiré de l'épidémie
actuelle de coronavirus. Si les contacts sont réduits à zéro à partir d'une
certaine date T au début de l'épidémie, la taille finale de l'épidémie est proche
du nombre R(T) de cas cumulés, multiplié par la reproductivité
\(\,\mathcal{R}_0\,\) de l'épidémie. Plus généralement, si les contacts sont
divisés par le nombre q au temps T, avec \(\,\mathcal{R}_0/q < 1\), alors la
taille finale de l'épidémie est proche de \(R(T) \, \mathcal{R}_0\,
(1-1/q)/(1-\mathcal{R}_0/q)\). On ajuste approximativement les paramètres du
modèle aux données relatives au coronavirus en France.
1. Le modèle
La figure 1\(^a\,\) montre le nombre cumulé de cas confirmés de coronavirus
en France entre le 25 février et le 29 mars 2020. Ces données incluent à la fois
les laboratoires de ville et les patients hospitalisés [10]. Il faut distinguer
la date du 15 mars à partir de laquelle des mesures drastiques ont été prises
subitement pour arrêter l'épidémie (fermeture des écoles, des restaurants, etc.).
Pour ces trois dates, le nombre cumulé de cas confirmés est passé de 13 à 5423
puis à 40174. La figure 1\(^b\,\) montre les mêmes données en coordonnées
logarithmiques ainsi que des droites de régression linéaire. On observe trois
périodes. Dans la première, qui va jusqu'au 6 mars, la croissance est rapide mais
assez irrégulière. Dans la deuxième, qui va jusqu'au 15 mars, la croissance est
un peu moins rapide mais régulière. Dans la troisième, à partir du 16 mars, la
croissance est ralentie mais toujours régulière. Si l'on ajuste une droite sur
l'ensemble des deux premières périodes, qui va du 25 février au 15 mars, on
trouve que le nombre de cas croît exponentiellement avec un taux l ~= 0,31 par
jour (en rouge). Le temps de doublement est (ln 2)/l ~= 2,2 jours. Si en
revanche on se limite à la deuxième période, avec des données qui sont
particulièrement bien alignées en échelle logarithmique, on obtient l ~= 0,225
par jour et un temps de doublement de 3,1 jours (en bleu). Comme les données du
début de l'épidémie sont perturbées par une part importante de nouveaux cas
importés et par des effets stochastiques, c'est probablement la deuxième
estimation qui est la plus fiable. Pour la troisième période, après la mise en
place de mesures drastiques, le temps de doublement passe à 4,9 jours.
[Figure1a.png] [Figure1b.png]
Figure 1. a) Nombre cumulé de cas confirmés en France entre le 25 février et le
29 mars 2020, d'après Santé publique France et [11]. b) Logarithme népérien de
ce nombre et droites de régression linéaire.
On va étudier un modèle mathématique inspiré de cette épidémie. Divisons la
population française en cinq compartiments selon une variante du modèle classique
S-E-I-R (voir par exemple [3, p. 61]) :
* \(S\) : personnes saines
* \(E\) : personnes infectées en phase latente, autrement dit, pas encore
infectieuses
* \(I\) : personnes infectieuses sans protection
* \(R_1\) : personnes retirées de la chaîne de transmission et comptabilisées
parmi les cas confirmés
* \(R_2\) : personnes retirées de la chaîne de transmission mais non
comptabilisées.
Chacun de ces deux derniers compartiments regroupe donc à la fois ceux qui sont
encore infectieux mais isolés et ceux qui ne sont plus infectieux car guéris ou
décédés. Certains malades ont des symptômes de faible gravité et restent chez eux
sans se faire tester, d'autres habitent dans des maisons de retraites et n'ont
pas non plus été testés malgré les complications voire le décès ; ce sont ces
catégories que l'on retrouve dans le compartiment \(\,R_2\). On peut évidemment
raffiner à l'infini ce modèle pour le rendre plus réaliste mais on a essayé de
limiter au maximum le nombre de paramètres inconnus ; on a aussi pour but
principal d'obtenir un résultat théorique relatif à la taille finale de
l'épidémie.
Introduisons quelques notations :
* \(N\) : la population totale (supposée grande) de sorte que
\(N=S(t)+E(t)+I(t)+R_1(t)+R_2(t)\)
* \(a\) : le taux de contact effectif
* \(b\) : le taux auquel les personnes infectées en phase latente deviennent
infectieuses
* \(c\) : le taux moyen auquel les personnes infectieuses sont isolées et donc
retirées de la chaîne de transmission
* \(f\) : la fraction d'individus infectieux qui sont comptabilisés parmi les
cas confirmés au moment de l'isolement (\(0 \leq f \leq 1\)). Cette fraction
peut varier au fil du temps mais on supposera pour simplifier qu'elle est
constante.
On a alors \begin{eqnarray} \frac{dS}{dt} &=& -a\, S\, \frac{I}{N}\tag{1}\\
\frac{dE}{dt} &=& a\, S\, \frac{I}{N} - b\, E\tag{2}\\ \frac{dI}{dt} &=& b\, E -
c\, I\tag{3}\\ \frac{dR_1}{dt} &=& f\, c\, I\, ,\tag{4}\\ \frac{dR_2}{dt} &=&
(1-f)\, c\, I\, .\tag{5} \end{eqnarray} Pour faire le lien avec les données de la
figure 1, \(R_1(t)\) correspond au nombre cumulé de cas confirmés à l'instant
\(t\). On définit \(\,R(t)=R_1(t)+R_2(t)\,\). On a alors \begin{equation}
\frac{dR}{dt} = c\, I.\tag{6} \end{equation} On déduit de \(R_1(0)=R_2(0)=0\) \[
R_1(t)=f\, R(t),\quad R_2(t)=(1-f) R(t),\quad \forall t\geq 0.\]
Au début de l'épidémie, le nombre de cas reste très petit par rapport à la
population totale de sorte que \(S(t)\simeq N\), ce qui conduit à la
linéarisation \[ \frac{dE}{dt} \simeq a\, I - b\, E,\quad \quad \frac{dI}{dt} =
b\, E - c\, I. \] Les nombres \(E(t)\) et \(I(t)\) mais aussi les
nombres \(R_1(t)\) et \(R_2(t)\) tendent donc à croître exponentiellement
comme \(e^{\lambda t}\). \(\,\lambda\,\) est la plus grande valeur propre de la
matrice \begin{equation}\tag{7} \left (\begin{array}{cc} -b & a\\ b & -c
\end{array} \right ). \end{equation} Le polynôme caractéristique est
\begin{equation}\tag{8} \lambda^2 +(b+c)\lambda +b(c-a)=0. \end{equation} On a
donc \begin{equation}\tag{9} \lambda=\frac{-(b+c)+\sqrt{(b+c)^2-4b(c-a)}}{2} =
\frac{-(b+c)+\sqrt{(b-c)^2+4ab}}{2}\, . \end{equation}
[9] indique que la durée d'incubation, c'est-à-dire la période avant
apparition des symptômes, est de 5 à 6 jours. La période de latence peut être un
peu plus courte puisqu'on peut devenir infectieux avant de montrer des symptômes.
On fixe à 4 jours la durée moyenne dans la phase latente. C'est \(\,1/b\). On
prend donc \(\,b= \mbox{0,25}\) par jour.
La durée moyenne dans le compartiment infectieux avant isolement, qui
vaut \(1/c\ \), est plus difficile à estimer car elle dépend de nombreux
facteurs. Elle dépend des caractéristiques biologiques du virus, des
caractéristiques des personnes telles que leur âge, mais aussi de la promptitude
avec laquelle les cas sont isolés, ce qui varie d'un pays à l'autre. L'épidémie
en France a lieu alors que les habitants sont déjà bien au courant de l'existence
de la pandémie. Les malades ne tardent pas à être isolés. Certaines personnes ne
sont pas du tout infectieuses. D'autres personnes sont infectieuses plusieurs
jours avant d'être isolées. Supposons que la moyenne soit de l'ordre de 1 jour,
la forme du modèle sous-entendant que la distribution est exponentielle. On
aurait cette moyenne dans un modèle plus raffiné si 80% des infectés restaient
infectieux pendant 0 jour et si 20% des infectés restaient infectieux pendant 5
jours avant d'être isolés. En résumé, on a choisi \(\,c= 1\,\) par jour.
On déduit de la formule (9) que \begin{equation}\tag{10} a =
\frac{(2\lambda+b+c)^2-(b-c)^2}{4b}=(\lambda+c)\left (1+\frac{\lambda}{b}\right
). \end{equation} ce qui permettrait de calculer numériquement le taux de contact
effectif à partir du taux de croissance observé l.
Imaginons que des mesures de santé publique puissent diviser le taux de
contact effectif par un nombre k tel que \(\,k > 1\). Combien doit valoir au
minimum ce nombre pour arrêter l'épidémie ? Cette valeur minimale est
traditionnellement notée \(\,\mathcal{R}_0\,\) à la suite de Lotka, qui l'a
appelée la « reproductivité » [6, p. 102]. Avec \(\,a'=a/\mathcal{R}_0\,\), le
nouveau taux de croissance de l'épidémie \(\,\lambda'\,\) doit être nul. D'après
l'équation (8), cela conduit à \(\ c- a/\mathcal{R}_0=0\) et à \[ \mathcal{R}_0 =
\frac{a}{c}=\left (1+\frac{\lambda}{b}\right ) \left (1+\frac{\lambda}{c}\right )
\simeq \mbox{2,33}\] si l'on utilise la valeur numérique (\(\lambda\simeq
\mbox{0,225}\,\) par jour) suggérée par la courbe épidémique de la figure 1. Vues
les incertitudes sur les paramètres b et c, ceci ne peut être qu'une valeur
approchée.
De manière plus technique (voir par exemple [7]), on aurait pu remarquer que
\(\mathcal{R}_0\) était aussi le rayon spectral de la matrice \[\left
(\begin{array}{cc} 0 & a \\ 0 & 0 \end{array} \right ) \left (\begin{array}{cc} b
& 0 \\ -b & c \end{array} \right )^{-1}.\]
Revenons au modèle S-E-I-R non linéaire (1)-(6). Rappelons comment déterminer
la taille finale de l'épidémie en l'absence complète d'intervention ; c'est une
adaptation facile et d'ailleurs bien connue de la méthode utilisée pour le modèle
S-I-R (voir par exemple [4, p. 76]). Avec l'équation (1), on a \[\frac{d}{dt} \ln
S = -\frac{a}{N} I(t).\] Donc en intégrant entre \(t=0\) et \(t=+\infty\),
\begin{equation}\tag{11} \ln S(\infty) - \ln S(0) = -\frac{a}{N} \int_0^\infty
I(t)\, dt\, . \end{equation} \(S(\infty)\) désigne la limite quand \(t\to
+\infty\) de la fonction \(S(t)\,\). Cette fonction est décroissante et positive.
Avec \(\ R(0)=0\) et l'équation (6), on a \begin{equation}\tag{12} R(\infty) =
c\int_0^\infty I(t)\, dt. \end{equation} Par ailleurs, on a à tout
instant \(S(t)+E(t)+I(t)+R(t)=N\). L'épidémie finit par s'arrêter :
\[E(t)\mathop{\longrightarrow}_{t \to +\infty} 0,\quad
I(t)\mathop{\longrightarrow}_{t \to +\infty} 0.\] On a donc
\begin{equation}\tag{13} S(\infty)+R(\infty)=N. \end{equation} En combinant (11),
(12) et (13), on a \[N-R(\infty)=S(0)\, \exp\left (-\frac{a}{c}
\frac{R(\infty)}{N} \right ).\] Au début de l'épidémie, il n'y a que quelques
personnes infectées dans la population, donc \(S(0)\simeq N\). L'équation
implicite pour la taille finale de l'épidémie peut s'écrire comme
\begin{equation}\tag{14} 1-\frac{R(\infty)}{N} \simeq \exp\left (-\mathcal{R}_0
\, \frac{R(\infty)}{N}\right ), \end{equation} qui se trouve avoir la même forme
que pour le modèle S-I-R [4]. Avec \(\,\mathcal{R}_0\simeq \mbox{2,33}\,\), on
trouve \(R(\infty)/N \simeq 87\%\). Seule une fraction f de ces cas est
confirmée.
2. Deuxième phase avec intervention drastique
Imaginons qu'à une certaine date T, des mesures drastiques soient prises de
sorte que le nouveau taux de contact effectif soit réduit à 0. Supposons qu'il y
ait à cet instant un nombre cumulé de cas confirmés égal à \(\,R_1(T)\). Par
exemple, il y avait 5423 cas cumulés le 15 mars, date à laquelle sont entrées en
vigueur les mesures concernant les écoles et les lieux publics. Peut-on alors
prévoir quelle aurait été sous ces hypothèses la nouvelle taille finale de
l'épidémie, ou du moins celle confirmée?
Vers la fin de la phase exponentielle où \(t\leq T\) et où le nombre total de
cas représente encore une part infime de la population totale, on a \[E(t)\simeq
u\, e^{\lambda t},\quad I(t)\simeq v\, e^{\lambda t},\quad R(t)\simeq w\,
e^{\lambda t}.\] \((u,v)\) est un vecteur propre associé à la plus grande valeur
propre de la matrice (7), c'est-à-dire \(\lambda\). Ainsi, \[-b\, u+a\, v=\lambda
\, u.\] Avec l'équation (10), on a \[u=\frac{a\,
v}{\lambda+b}=\frac{\lambda+c}{b}\, v\, .\] Mais \(dR/dt \simeq \lambda
R\) si \(\,t < T\,\) et si t n'est pas trop proche de 0. Donc \[I(T)=\frac{1}{c}
\frac{dR}{dt}(T)\simeq \frac{\lambda }{c}\, R(T).\] Avec \(I(T)\simeq v\,
e^{\lambda T}\,\), on a \[E(T)\simeq u\, e^{\lambda T} = \frac{\lambda+c}{b}\,
v\, e^{\lambda T} \simeq \frac{\lambda+c}{b}\, I(T) \simeq \left
(\frac{\lambda^2}{bc}+ \frac{\lambda }{b}\right ) R(T) \, .\]
On suppose que les contacts sont réduits à zéro. On a pour \(\,t > T\)
\begin{equation}\tag{15} \frac{dS}{dt} = 0,\quad \frac{dE}{dt} = - b\, E,
\end{equation} tandis que les autres équations (3), (4) et (5) restent
identiques. Sans avoir à résoudre ce système, la taille finale de l'épidémie sera
\(R(\infty)=R(T)+E(T)+I(T)\). Il y a en effet \(\,E(T)+I(T)\,\) individus
infectés qui ne sont pas encore dans les compartiments R au temps T. On a ainsi
\[R(\infty)\simeq R(T) \left (1+\frac{\lambda^2}{bc}+ \frac{\lambda }{b}+
\frac{\lambda}{c}\right ) = R(T) \left (1+\frac{\lambda}{b} \right ) \left
(1+\frac{\lambda}{c} \right )=\mathcal{R}_0 \, R(T) \, .\] Avec \(R_1(t)=f\,
R(t)\,\), on obtient \[R_1(\infty)\simeq \mathcal{R}_0 \, R_1(T).\]
Ainsi, si les contacts sont réduits à zéro à partir d'une certaine date
* peu après le début de l'épidémie pour que l'approximation linéaire soit
encore valable
* assez grande pour que le système linéarisé ait eu le temps de converger vers
le vecteur propre associé à la première valeur propre,
alors la taille finale (confirmée ou totale) de l'épidémie est proche de celle
que l'on obtient en multipliant le nombre cumulés de cas (confirmés ou au total)
à cette date par la reproductivité de l'épidémie. Un résultat semblable s'obtient
de la même manière pour un modèle S-I-R. En annexe, on remarque cependant que ce
n'est plus la reproductivité qui détermine le quotient \(\,R(\infty)/R(T)\) dans
les modèles avec une période infectieuse qui n'est pas distribuée
exponentiellement, mais une expression plus compliquée.
Avec \(R_1(T)=5\,423\) et \(\mathcal{R}_0\simeq \mbox{2,33}\,\), cela
donne \(R(\infty)\simeq 12\, 600\). Soulignons encore une fois l'incertitude
autour des paramètres b et c, qui se retrouve dans ce résultat.
Il y a une analogie avec le concept de « potentiel d'accroissement » des
populations en démographie [8, p. 176]. C'est le rapport entre la population
finale stationnaire et la population à un certain instant si la fertilité est
divisée subitement à cet instant par la reproductivité, de sorte que la
population se retrouve avec un taux asymptotique de croissance nul. Comme dans
notre calcul, Keyfitz a obtenu une formule relativement simple pour le «
potentiel d'accroissement » en supposant que la population initiale est « stable
» au sens de Lotka (c'est-à-dire donnée par le premier vecteur propre). Cette
formule fait aussi intervenir la reproductivité, quoique de manière plus
compliquée que pour notre modèle S-E-I-R [8, p. 179].
Notons aussi que l'estimation de \(R(T)+E(T)+I(T)\) à partir de la seule
donnée \(R(T)\) est analogue au problème qui s'était posé aux débuts de
l'épidémie de VIH pour estimer le nombre de personnes séropositives à partir du
nombre de cas déclarés de SIDA.
La figure 2\(^a\,\) illustre ce modèle à deux phases. On a pris
\(\,N=65\times 10^6\) (la population de la France) et les conditions initiales
\begin{equation}\tag{16} S(0)=N-1, \quad E(0)=1, \quad I(0)=0,\quad R(0)=0.
\end{equation} Le paramètre \(a\) est donné par la formule (10) avec
\(\lambda=\mbox{0,225}\,\) par jour, comme dans la figure 1. On dispose de peu
d'information au sujet du paramètre f. On sait rétrospectivement qu'un grand
nombre de décès dûs au virus dans les maisons de retraite n'étaient pas
comptabilisés parmi les cas confirmés au début de l'épidémie. Choisissons par
exemple f=0,5 pour l'illustration. On a pris \(T=\mbox{43,2}\) jours de sorte
que \(R_1(T) \simeq 5\,438\,\) soit proche de la donnée 5423 pour le 15 mars. En
poursuivant la simulation un peu plus longtemps que dans la figure, on trouve
bien numériquement que \(\,R_1(\infty)/R_1(T)\simeq \mbox{2,33} \simeq
\mathcal{R}_0\).
[Figure2a.png] [Figure2b.png]
Figure 2. a) Exemple de simulation du modèle à deux phases. b) Le quotient
\(\,R_1(\infty)/R_1(T)\) en fonction de \(T\).
La figure 2^b montre comment le quotient \(R_1(\infty)/R_1(T)\,\) varie en
fonction de l'instant T où le taux de contact est réduit à zéro. On observe
effectivement un plateau où ce quotient est proche de \(\,\mathcal{R}_0\). Dans
le cas \(\,T\to 0\,\), on a \(\,R_1(T)\to 0\) et \(R_1(\infty)\to f(E(0)+I(0))
> 0\). On a donc \(R_1(\infty)/R_1(T) \to +\infty\). Le quotient se rapproche de
\(\,\mathcal{R}_0\,\) si T est de l'ordre de l'inverse de la différence entre les
deux valeurs propres de la matrice (7). Si au contraire \(\,T \to \infty\,\),
alors l'intervention intervient trop tard. L'épidémie est déjà passée et
\(R_1(\infty)/R_1(T)\to 1\). Avec \(\,N\to +\infty\,\), la largeur du plateau, où
\(R_1(\infty)/R_1(T)\) est proche de \(\mathcal{R}_0\,\), croît probablement
comme \((\ln N)/\lambda\), puisque tel est par exemple le comportement du temps
jusqu'au pic épidémique dans un modèle SIR à coefficients constants (voir [2] ou
[5, p. 12]).
3. Généralisation
Dans la réalité, le taux de contact effectif n'est sûrement pas tout à fait
nul pour \(t > T\). La valeur obtenue pour \(\,R(\infty)\,\) peut néanmoins être
considérée comme une borne inférieure de la valeur réelle. Car il est certain que
la taille finale de l'épidémie sera supérieure avec des contacts qui ne sont pas
nuls qu'avec des contacts qui sont nuls. Rappelons à ce sujet que les modèles
épidémiques de type S-I-R ou S-E-I-R avec un taux de contact variable ne sont pas
« monotones », dans le sens qu'une réduction du taux de contact peut parfois
conduire à une taille finale de l'épidémie plus grande [1].
Considérons maintenant le cas où le taux de contact n'est pas réduit à 0 mais
divisé par un nombre q (\(q > 1\)). La réduction à 0 correspond au cas limite où
\(\,q \to +\infty\). On a pour \(\,t > T\), \begin{equation}\tag{17}
\frac{dS}{dt} = -\frac{a}{q}\, S\, \frac{I}{N},\quad \frac{dE}{dt} =
\frac{a}{q}\, S\, \frac{I}{N} - b\, E, \end{equation} tandis que les équations
(3), (4) et (5) restent identiques. Par le même raisonnement que dans la section
1, on a pour \(\,t > T\) \[\frac{1}{S} \frac{dS}{dt} = - \frac{a}{q\, c\, N}
\frac{dR}{dt}.\] On en déduit, en intégrant entre t=T et t=+infty, \[\ln
\frac{S(\infty)}{S(T)} = - \frac{\mathcal{R}_0}{q}\, \frac{R(\infty)-R(T)}{N}\,
,\] avec \(\mathcal{R}_0=a/c > 1\) et \(\,S(\infty)=N-R(\infty)\,\). On a donc
\begin{equation}\tag{18} 1-\frac{R(\infty)}{N} = \frac{S(T)}{N} \exp \left (-
\frac{\mathcal{R}_0}{q} \, \frac{R(\infty)-R(T)}{N}\right ). \end{equation} Comme
dans la section 2, supposons que le temps T ne soit ni trop petit ni trop grand,
c'est-à-dire dans le plateau de la figure 2\(^b\). En première approximation,
\(\,S(T)\simeq N\) et \(R(T)\) est petit par rapport à \(N\). Deux cas se
présentent alors.
Dans le cas \(1 < q < \mathcal{R}_0\,\), comme dans l'argument graphique
classique [4], on trace les membres de gauche et de droite de l'équation (18) en
fonction de \(R(\infty)/N\). On voit que la solution \(\,R(\infty)/N\,\) n'est
pas infinitésimale mais proche de la solution strictement positive de l'équation
\begin{equation}\tag{19} 1-\frac{R(\infty)}{N} \simeq \exp \left
(-\frac{\mathcal{R}_0}{q} \, \frac{R(\infty)}{N}\right ). \end{equation}
Si au contraire \(q > \mathcal{R}_0\), alors la solution \(R(\infty)/N\,\)
de l'équation (18) est petite. Avec \[\,S(T)=N-E(T)-I(T)-R(T),\quad
E(T)+I(T)+R(T)\simeq \mathcal{R}_0\, R(T),\] une approximation à l'ordre 1 de
l'exponentielle dans l'équation (18) conduit à \[1-\frac{R(\infty)}{N} \simeq
\left [1-\frac{\mathcal{R}_0\, R(T)}{N} \right ]\, \left [1-
\frac{\mathcal{R}_0}{q} \frac{R(\infty)-R(T)}{N} \right ].\] En négligeant
\(1/N^2\,\), on a \[1-\frac{R(\infty)}{N} \simeq 1-\frac{\mathcal{R}_0\, R(T)}{N}
- \frac{\mathcal{R}_0}{q} \frac{R(\infty)-R(T)}{N} .\] Finalement,
\begin{equation}\tag{20} R(\infty) \simeq R(T) \, \mathcal{R}_0\,
\frac{1-1/q}{1-\mathcal{R}_0/q}\, . \end{equation} Avec \(q\to +\infty\) on a
\(R(\infty) \simeq R(T) \, \mathcal{R}_0\). On remarque aussi que
\(\,(1-1/q)/(1-\mathcal{R}_0/q) > 1\), comme il se doit. Une formule identique à
(20) lie \(\,R_1(\infty)\) et \(R_1(T)\).
La figure 3 montre avec une ligne continue, en fonction du paramètre q, la
taille finale de l'épidémie en échelle logarithmique. On a simulé numériquement
le système (1)-(6) pour tT. Comme dans la figure 2\(^a\,\), la
population totale est \(N=65\times 10^6\) et le paramètre \(a\) est donné par
la formule (10) avec \(\lambda=\mbox{0,225}\,\) par jour. On a encore pris
\(\,f=\mbox{0,5}\) et \(T=\mbox{43,2}\) jours de sorte que \(R_1(T) \simeq
5\,438\). La figure montre aussi avec des petits ronds la valeur de la formule
(20) pour \(\,q > \mathcal{R}_0\). Elle montre enfin avec de petits losanges la
solution strictement positive de l'équation (19) pour \(\,q < \mathcal{R}_0\). On
voit que les deux approximations cessent d'être valable au voisinage du seuil
(\(q=\mathcal{R}_0\)).
[Figure3.png] Figure 3. \(\ln(R(\infty)/N)\) en fonction de \(q\) (ligne
continue), comparé avec la formule (20) (petits ronds) valable pour \(q >
\mathcal{R}_0\) et avec la solution de l'équation (19) (petits losanges) valable
pour \(q < \mathcal{R}_0\).
On notera que la taille finale de l'épidémie varie de plusieurs ordres de
grandeurs si \(\,q\simeq \mathcal{R}_0\). Comme il est difficile de le
quantifier, la prédiction de la taille finale de l'épidémie est également
difficile dans cette zone. Il n'y a que si le paramètre q est nettement supérieur
à la reproductivité que la prévision avec la formule (20) devient moins sensible
à la valeur de q.
4. Estimation du paramètre q
Essayons d'estimer le paramètre q en ajustant une simulation du modèle aux
données postérieures au 15 mars, y compris celles jusqu'au 15 avril qui ne
figuraient pas dans la figure 1. [10] avertit néanmoins que « le nombre de cas
confirmés en France ne reflète plus de manière satisfaisante la dynamique de
l'épidémie », étant donné que « les patients présentant des signes de COVID-19 ne
sont plus systématiquement confirmés par un test biologique ».
On part de la donnée \(R_1(T)=5\,423\) et des relations
\[R(T)=R_1(T)/f,\quad R_2(T)=(1-f) R(T).\] Comme les données des 8 jours qui
précèdent sont particulièrement bien alignées, on démarre la simulation de notre
modèle avec \[\,R(T-\tau)=e^{-\lambda \tau} R(T)\] avec
\(\lambda=\mbox{0,225}\) par jour et \(\tau=8\) jours, et avec les estimations
correspondantes \[I(T-\tau)\simeq \frac{\lambda}{c}\, R(T-\tau), \quad E(T-\tau)
\simeq \left (\frac{\lambda^2}{bc}+ \frac{\lambda}{b} \right )R(T-\tau),\quad
S(T-\tau)=N-E(T-\tau)-I(T-\tau)-R(T-\tau).\]
Le taux de contact effectif est \(a/q\) si \(t > T\,\). On essaie
d'ajuster le nombre de cas confirmés aux données jusqu'au 15 avril. Le meilleur
ajustement donne \(\,q=\mbox{1,7}\). Cette valeur est inférieure au seuil
\(\,\mathcal{R}_0\,\). Il semblerait que les mesures de confinement soient encore
insuffisantes. Mais les tous derniers points de la figure montrent que l'écart
avec le modèle grandit dans le sens d'un ralentissement de l'épidémie réelle. Il
se peut que la valeur de f choisie ne soit pas appropriée ou qu'elle ait varié au
cours de l'épidémie. Ou alors le modèle est peut-être un peu trop simpliste. On
s'attend notamment à ce qu'une distribution non exponentielle des temps passés
dans les différents compartiments influence le moment où la courbe commence à
s'infléchir.
[Figure4.png] Figure 4. Logarithme népérien du nombre de cas confirmés entre le 7
mars et le 15 avril (petits ronds, données de Santé publique France [11]) et
\(\ln(R_1(t))\) en fonction du temps \(t\) dans 4 simulations avec de haut en
bas \(q\in \{\mbox{1,5} ;\, \mbox{1,7} ;\, 2 ;\, \mbox{2,5} \}\).
En conclusion, on a exploré un scénario à deux phases où le taux de contact
est réduit à partir d'un certaine date. On a trouvé une formule approchée simple
pour la taille finale de l'épidémie en fonction du nombre de cas détectés au
moment de la réduction. Il reste néanmoins à énoncer et à démontrer plus
rigoureusement ce résultat, probablement en le faisant apparaître comme un
résultat asymptotique lorsque \(\,N\to +\infty\).
Remerciements
On remercie Hisashi Inaba, Ali Moussaoui et Frédéric Hamelin pour leurs
commentaires sur le manuscrit.
Annexe
Considérons un modèle S-I-R avec une période infectieuse qui n'est pas
nécessairement distribuée exponentiellement, avec les notations
* \(I(t,x)\) : la densité de personnes infectées depuis x unités de temps au
temps t
* \(a(x)\) : le taux de contact effectif ;
* \(b(x)\) : le taux auquel les personnes infectées cessent de transmettre
l'infection.
On a au début de l'épidémie \begin{eqnarray*} I(t,0)&\simeq& \int_0^\infty a(x)\,
I(t,x)\, dx\\ \frac{\partial I}{\partial t}+\frac{\partial I}{\partial
x}&=&-b(x)\, I(t,x)\\ \frac{dR}{dt}&=&\int_0^\infty b(x)\, I(t,x)\, dx
\end{eqnarray*} On en déduit, comme dans la théorie des populations stables de
Lotka [6] que \[I(t,x)\simeq k\, e^{\lambda t} \, e^{-\lambda x - \int_0^x b(y)\,
dy} .\] k est une constante. Le taux de croissance l est l'unique solution de
l'équation \[1=\int_0^\infty a(x) e^{-\lambda x - \int_0^x b(y)\, dy}\, dx.\]
Avec \(I(t)=\int_0^\infty I(t,x)\, dx\,\), le problème est d'estimer
\(I(T)+R(T)\) à partir de \(R(T)\). Mais \[ \lambda R(T) \simeq
\frac{dR}{dt}(T)=\int_0^\infty b(x)\, I(T,x)\, dx\simeq \int_0^\infty b(x)\, k\,
e^{\lambda T}\ e^{-\lambda x - \int_0^x b(y)\, dy}\, dx.\] On en déduit que
\[k\simeq \frac{\lambda R(T) e^{-\lambda T}}{\int_0^\infty b(x)\, e^{-\lambda x -
\int_0^x b(y)\, dy}\, dx}.\] Finalement, \[ \frac{I(T)+R(T)}{R(T)} \simeq
\frac{\lambda \int_0^\infty e^{-\lambda x - \int_0^x b(y)\, dy}}{\int_0^\infty
b(x)\, e^{-\lambda x - \int_0^x b(y)\, dy}}+1.\] On voit que ce résultat n'a pas
de raison particulière de coïncider avec la formule suivante
\[\mathcal{R}_0=\int_0^\infty a(x)\, e^{- \int_0^x b(y)\, dy}\, dx.\] Dans le cas
spécial où les taux sont constants, avec \(a(x)\equiv a\) et \(b(x)\equiv b\,\),
on a cependant \(\lambda=a-b\) et donc \[\frac{I(T)+R(T)}{R(T)} \simeq
\frac{\lambda}{b}+1=\frac{a}{b}=\mathcal{R}_0.\]
Références bibliographiques
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saisonnalité. Bull. Math. Biol. 71:1954-1966.
[3]https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01299608
2. Bacaër N. (2020) Sur le pic épidémique dans un modèle S-I-R, Quadrature
117:1-4. [4]https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02518993
3. Corlosquet-Habart M., Janssen J., Manca R. (2012) Modélisation stochastique
du risque de pandémie : stratégies de couverture et d'assurance. Lavoisier,
Cachan.
4. Hillion A. (1986) Les Théories mathématiques des populations. Presses
Universitaires de France, Paris.
5. Lauwerier H.A. (1984) Mathematical Models of Epidemics. Mathematisch Centrum,
Amsterdam.
6. Lotka A.J. (1939) Théorie analytique des associations biologiques, 2e partie.
Hermann, Paris.
7. Nkague Nkamba L. (2012) Robustesse des seuils en épidémiologie et stabilité
asymptotique d'un modèle à infectivité et susceptibilité différentielle.
Thèse, Université de Lorraine et Université Gaston Berger.
8. Pressat R. (1995) Éléments de démographie mathématique. AIDELF, Paris.
9. Sansonetti Ph. (2020) Covid-19 ou la chronique d'une émergence annoncée.
Exposé, Collège de France, 18 mars 2020.
10. Santé publique France (2020) Covid-19, point épidémiologique hebdomadaire du
09 avril 2020. [5]www.santepubliquefrance.fr
11. [6]https://fr.wikipedia.org/wiki/Pand%C3%A9mie_de_Covid-19_en_France
References
1. https://doi.org/10.1051/mmnp/2020015
2. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02509142
3. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01299608
4. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02518993
5. https://www.santepubliquefrance.fr/
6. https://fr.wikipedia.org/wiki/Pand%C3%A9mie_de_Covid-19_en_France
Usage: http://www.kk-software.de/kklynxview/get/URL
e.g. http://www.kk-software.de/kklynxview/get/http://www.kk-software.de
Errormessages are in German, sorry ;-)